Dans l’opinion publique, la question de la nationalité au Kivu se trouve
étroitement liée aux conflits ethniques(souvent sanglants)entre ceux
que l’on appelle d’un côté les autochtones et ceux que , de l’autre
côté, l’on appelle abusivement les allochtones .
Alors que la RDC a des frontières internationales avec neuf pays(Angola,
Zambie, Tanzanie, Burundi, Rwanda, Uganda, Soudan, RCA, Congo-Brazza),,
paradoxalement le problème de la nationalité ne semble concerner que
les seuls rwandophones, et parmi ceux-ci , les Tutsis sont particulièrement
visés . Cette
notion d’autochtonie et d’allochtonie a d’ailleurs souvent été politiquement
manipulée, en faisant des uns des propriétaires exclusifs de toutes
les terres et des autres d’éternels étrangers dans une région où l’histoire
atteste la présence des uns et des autres avant le découpage arbitraire
de l’Afrique . La
colonisation belge, pour sa part, a largement contribué à cette conflictualité
qui n’a pas encore dit son dernier mot – 40 ans après l’indépendance
politique – en mettant les citoyens congolais d’statement rwando-burundaise
sous tutelle des tribus dites autochtones du Kivu.- De quoi étonner
et choquer plus d’une conscience .Ecoutons ce compatriote originaire
du Kassai : « Selon l’histoire, il existe bel et bien des Hutus comme
des Tutsis au Congo, bien avant 1885 ,même si tout le monde ne le sait
pas ou ne veut pas le savoir parce que la question tutsie de manière
particulière est devenue passionnnelle . En tant que Kassaien, je suis
scandalisé par la xénophobie de vous autres , gens du Kivu »(1) Pourquoi
avoir pointé les seuls ressortissants du Rwanda-Urundi sur l’ensemble
des frontières de la RDC ? Ils sont loin d’être les seuls à avoir des
membres de leur ethnie au-delà des frontières du Congo . Beaucoup d’ethnies
congolaises se retrouvent dans la même situation : Nande, Azande, Ngbandi,
Ngbaka, Kongo, Tshokwe, Lunda, Bemba, Yeke... pour ne citer que celles-ci ; A-t-on
le droit d’oublier ce fait que la frontière seule, physique et géographique
entre les nations qui ont une conception de la possession communautaire
des terres, l’hymne et le drapeau national qui sont du reste des nouveautés
en Afrique interlacustre, n’offrent pas un cadre suffisant pour définir
une nationalité non conflictuelle .Il faut trouver ailleurs une explication
à cette situation génératrice de conflits. Dans le
contexte du Zaire de Mobutu de caractérisé par un chaos multiforme et
une paupérisation avancée de la population,, sur fond d’une idéologie
subtile et sournoise anti-tutsi , insidieusement répercutée par certaines
églises, universités et centres de recherche, la différence entre les
citoyens du Kivu fut présentée comme une menace et un grave danger pour
la paix et la sécurité nationales, dans une région où des peuples se
retrouvent dispersés sur de vastes espaces non encore exploités mais
qui intéressent à la fois des nationaux moins favorisés par le climat
et des voisins confinés dans de petits pays déjà surpeuplés , ainsi
que des colons étrangers en quête de nouveaux espaces de peuplement .
Comme on le voit , le conflit de nationalité n’a pas été qu’une simple
question de formulation juridique . Le décret royal du 10 mai 1910 sur les chefferies indigènes a permis d’intégrer les indigènes en provenance des pays limitrophes dans les chefferies de leur choix ; Il a ainsi répondu à l’exigence de donner à chaque indigène une autorité traditionnelle, mais pour le cas de l’Est du Congo, en refusant d’avance d’organiser une communauté politique des Banyarwanda et Barundi sur le sol où ils se trouvaient déjà au moment de la limitation des frontières, la colonie a , peut-être à son insu, créé le conflit de nationalité qui dure jusqu’aujourd’hui et dont les conséquences sont terriblement dramatiques. Il faut le reconnaître : un peuple
ne peut se résigner à rester indéfiniment sous la tutelle d’un autre ;
surtout lorsqu’il se sent gratuitement persécuté. Laissons parler plutôt ce soldat
originaire du Nord-Kivu : « En 1960 nos frères ont combattu pour l’indépendance
avec tous les autres Congolais ; Mon oncle Théodomir Nzamukwereka a participé
à la Table Ronde de Bruxelles ; Midiburo a même présidé aux destinées
du Congo pendant quelques semaines ; Rwiyereka a été ministre
Le problème
de la nationalité ne s’est pas posé à ce moment, sinon on ne nous aurait
pas associés à ces démarches . La loi de 1981 nous exclut , nous de Masisi
alors que nous avions été déportés par l’ONU. Il faudra le fédéralisme
qui consacre une réelle autonomie du Kivu pour régler définitivement
cette question qui n’est qu’une injustices à l’encontre des populations
rwandophones » (2) . Malheureusement , la position de
beaucoup de Congolais qui traitent de la nationalité des rwandophones
du Congo, donnent franchement l’impression d’avoir pris a priori une
position souvent passionnée, et plus d’une fois raciste . Nous aurons
à y revenir. Ces préalables posés , venons-en à la situation des populations congolaises rwandophones du Sud-Kivu que sont les Banyamulenge . Si tous les Rwandophones ont été discriminés par des lois injustes et des leaders irresponsables, force est de reconnaître cependant qu’ il y a lieu de distinguer plusieurs catégories de Rwandophones, selon leur période d’arrivée au Congo et selon leur constitution comme groupe , de même que selon leur emplacement géographique .
Les origines d’une question controversée De plus en plus aujourd’hui en Afrique , comme sous d’autres cieux, des conflits naguère latents s’expriment ouvertement et de manière sanglante, embrasant des régions entières et impliquant des peuples dont le voisinage remonte à des siècles dans des guerres impitoyables et ruineuses qui font facilement table rase d’un passé commun multiséculaire . Il s’agit là, on en convient, de
ce que d’aucuns qualifient aujourd’hui des « identités meurtrières » et
que d’autres préfèrent qualifier des incidences de l’ethnicité . Il en va de même pour le Sud-Kivu ; En tant que comportement social qui laisse prévaloir les motifs d’appartenance à un groupe ethnique, l’ethnicité demeure un phénomène universel ; l’histoire récente des Balkans vient le rappeler à ceux qui ont tendance de l’oublier . Partout , en effet, on note l’invasion
des sentiments ethniques dans les divers domaines de la vie ; Au Congo,
comme ailleurs, on en a fait la triste expérience en diverses régions
de notre pays, selon des accents plus ou moins prononcés .Elle s’est
manifestée sous des formes diverses et variées : de la simple opposition
dans l’opinion à des comportements ethniques sanglants, voire à des
massacres réciproques chez des ethnies voisines . Qu’il nous suffise
de ne citer ici que les cas très médiatiques des Luba et Lulua à Loulouabourg ;
des Yaka et Kongo à Léopoldville ; des Lunda et Luba à Elisabethville
Au Sud-Kivu, si des conflits sanglants
n’ont pas vite explosé après 1960, c’est que les structures modernes
étaient d’implantation récente . Notons cependant que très tôt un conflit
ouvert entre Fuliru et Rundi explosa dans la Plaine de la Ruzizi ; Pour ce qui est des antagonismes entre Banyamulenge et les autres tribus voisines , revenons un peu en arrière pour signaler qu’un conflit ouvert avait opposé , à l’époque coloniale déjà, Mukogabwe Mahina( roi des Bafuliru) à Kayira Bigimba, c(chef des Banyamulenge déchu et grand propriétaire du bétail bovin) Les ressentiments qui suivirent ce conflit sont tels qu’ils se sont cristallisés dans les consciences sociales qui les ruminaient au fil des générations . La période post-coloniale, quant
à elle, connaîtra le grand conflit de la rébellion de 64 qui opposa
les Banyamulenge aux Fuliru , et surtout aux Bembe . C’est dans ce contexte
que suivront les crises de 79, 82, 87, 89,96
Si on scrute les âges pour interroger
l’histoire, on se rendra compte que les conflits qui aujourd’hui opposent
les Banyamulenge aux autres groupes ethniques du Sud- Kivu , trouvent
leurs racines dans la marginalisation des premiers par le pouvoir colonial
belge, mais aussi dans une nette différence entre aussi bien les cultures
et les modes de production économique des uns et des autres , plus que
dans des prétendues notions d’autochtonie et d’allochtonie . Précisément, le fait que les colons belges aient marginalisé les « Tutsis d’Itombwe » (ou que ceux-ci se soient eux-mêmes marginalisés ou y aient contribué), en leur arrachant leur petite chefferie en reléguant leur chef Kayira Bigimba à Lulenge, en plaçant par la suite les Banyamulenge(à l’époque appelés Banyarwanda ou Tutsis d’Itombwe) sous tutelle des chefs vira , fuliru et bembe contient déjà les germes d’un antagonisme qui irait croissant jusqu’ à atteindre son paroxysme aujourd’hui . Mais aussi, la rencontre de la civilisation de la vache avec celles de la houe et de la flèche ne pouvait que générer , sinon des heurts, du moins des malentendus et des préjugés réciproques, surtout que dans un monde où l’essentiel des échanges commerciaux se réduisait au troc, la rencontre de ces deux cultures allait inévitablement consacrer la supériorité d’une culture par rapport à l’ autre et susciter par là des jalousies( si l’on tient compte du fait que celui qui possède des bovins sera nécessairement plus nanti que celui qui ne compte que sur une agriculture extensive) . L’on serait incomplet si l’on omettait
de signaler , à toutes fins utiles , que l’ensemble des groupes ethniques
de la région concernée étaient déjà sédentaires, pendant que les pasteurs
d’ Itombwe, eux , restaient en marge de cette sédentarisation, pratiquant
à souhait un nomadisme d’un autre âge ; d’où leur rapport à la terre
en sera sans doute marqué . C’était deux mondes culturels différents ; Cette situation contribua à rapprocher
davantage les Bembe, Vira, Fuliru, Rega, Shi de la colonisation , du
reste retranchée pour l’essentiel dans les zones occupées par ces ethnies,
au détriment des Tutsis d’Itombwe, plus soucieux de trouver des pâturages
pour leurs troupeaux de vaches, pilier et centre de leur culture . Ainsi,
pendant que très tôt déjà les autres tribus prennent le chemin de l’école
et jouissent des avantages certains de la civilisation européenne, nos
pasteurs d’ Itombwe vont rester en marge des bienfaits de la modernité,
et d’opposition involontaire, leurs rapports par rapport à la colonisation
vont devenir de plus en plus une opposition ouverte contre un pouvoir
qui collabore avec les adversaires et exige des tributs en têtes de
bétail. C’est dans ce contexte que les entités
administratives( quoique de moindre importance) des Banyamulenge seront
supprimées sous le prétexte de la suppression de toutes les petites
chefferies inaugurée par la circulaire du 8 novembre 1920 du ministre
colonial L. Franck Ainsi donc , comme nous venons de
le dire, la colonisation a précocement fragilisé et marginalisé l’organisation
politique coutumière des Banyamulenge en la supprimant , les obligeant
à vivre sous le joug de leurs voisins C’est là, note un chercheur belge,
« une vielle revendication de l’élite munyamulenge, à savoir le droit
à reconstituer une très ancienne entité administrative autonome accordée
aux Tutsis de l’ Itombwe par l’Etat Indépendant du Congo en 1906, confirmée
en 1910 par la colonisation, mais définitivement supprimée en 1933 »(3). Une solution de compromis sera trouvée par l’Etat zairois qui accorda aux Banyamulenge une petite localité autonome appelée « Groupement de Bijombo », mais avec au départ un chef traditionnel muvira du nom de Tete Mutembozi . III. QU’EN PENSENT AUJOURD’HUI LES HABITANTS DU SUD-KIVU ? Lors des enquêtes que l’équipe de HAKI KWETU a menées au Kivu, il est clairement apparu que cette question du statut des Banyamulenge, non seulement n’a pas été résolue, mais aussi continue à diviser la société ; Alors que les Banyamulenge avaient cru que la question liée à leur nationalité allait être définitivement résolue après la guerre qu’on leur a attribué en 1996, ils ont été désabusés de constater que non seulement la guerre finie personne ne s’était penché sur leur sort, mais également que cette question restait à jamais reléguée au second plan pour ne pas dire jetée dans les oubliettes . Cette situation a même provoqué un sérieux malentendu entre les Banyamulenge et les Rwandais, censés- à tort ou à raison - dicter à Kabila une ligne de conduite .Pour les Banyamulenge, les choses étaient désormais claires : les Rwandais étaient bien intervenus au Congo pour un autre agenda que de les aider à se faire reconnaître définitivement comme congolais à part entière et non entièrement à part . Les Banyamulenge sont allés jusqu’à
soupçonner le régime de Kigali d’ avoir poussé Kabila à se désintéresser
de cette question , pourtant capitale à leur avis, pour maintenir les
Banyamulenge dans une fragilité politique qui leur serait longtemps
préjudiciable pendant qu’en même temps elle servirait les intérêts du
rwanda , toujours prêt à intervenir au secours de ces pauvres Banyamulenge
menacés d’expulsion ou de génocide . Notre Organisation a aussi noté que
le fait que cette deuxième guerre ait été attribuée aux Banyamulenge
– du moins à ses débuts – dans un contexte social anti-tutsi a eu comme
effet certain de creuser davantage le fossé qui séparait déjà les deux
blocs . Tout ceci , sur fond d’une paupérisation croissante, ainsi que nous l’avons dit dans notre précédent rapport : Est-il encore possible de vivre ensemble au Sud-Kivu ? Il va de soi que pareil contexte n’est pas de nature à favoriser la réconciliation ni favoriser une réflexion commune sereine sur des questions qui divisent la société ; Précisément, dans un contexte où
les Banyamulenge sont rendus coupables de tous les péchés d’Israel,
la question de leur reconnaissance par les autres groupes ethniques
ne peut aller sans poser problème . Ainsi, de façon générale , alors que les plus diplomates des habitants du Sud-Kivu disent que la question de la nationalité des Banyamulenge sera à étudier par le prochain parlement, les plus francs proclament sur tous les tons que c’est là une question définitivement close, parce que les Banyamulenge ont torpillé le processus en portant les armes contre le Congo dont ils prétendent pourtant que c’est leur pays . Pour les Banyamulenge, il ne fait l’ombre d’aucun doute : le droit à la nationalité congolaise n’est pas négociable comme ne saurait l’être tout simplement le droit à la vie . Au lieu de nous perdre dans le méandre des arguments contradictoires des uns et des autres, laissons – leur plutôt la parole . Si Bernard Bausa dit sans nulle nuance
que « les Banyamulenge et leurs frères tutsis du Nord-Kivu n’ont pas
la nationalité congolaise sinon ils n’auraient
pas combattu pour l’acquérir »(4),le docteur Nshombo est plus
nuancé : « La majorité de la population dit que ce n’est plus un problème
majeur ; c’est plutôt la fin de la guerre et de la misère ainsi que l’occupation
tutsie qui inquiètent. Les Congolais sont prêts à vendre cette nationalité
à n’importe qui à condition de les délivrer de la colonisation tutsie .
Une fois reconnus comme Congolais, que les Banyamulenge cessent le double
jeu : tantôt rwandais , tantôt congolais. En effet , il y a des Banyamulenge
plus à l’aise au Rwanda qu’au Congo . Personnellement je ne vois aucun
problème à ce qu’ils soient reconnus comme compatriotes pourvu que ça
se passe dans les normes , de manière à ce que tous les Rwandais n’en
profitent pas . Les Banyamulenge devraient nous aider pour que Kagame
ne nous amène pas de colonie tutsie ici au Kivu »(5) Ceci dit venons-en à présent aux
arguments proprement dits qu’avancent les thèses de l’une et de l’autre
tendance . 1.Le fait que les Banyamulenge
n’ont pas de chefferie coutumière . Nombre de citoyens du Sud-Kivu trouvent que le fait du manque de chefferie coutumière des Banyamulenge constitue en lui-même une preuve magistrale de leur extranéité ou de leur allochtonie. « On ne se réveille pas du jour au lendemain citoyen d’un pays, nous dit un témoin anonyme ;le Congo est un vaste pays comme vous le savez, mais chaque citoyen, quelle que soit sa province d’origine, a un chez-soi ; on appartient toujours à une tribu qui , elle-même a un territoire bien délimité sur lequel s’exerce l’autorité coutumière deladite tribu . Où trouve – t-on le territoire des Banyamulenge ? ils ont pour chefs coutumiers des chefs vira, bembe et fuliru. Pourquoi donc n’ont-ils pas leurs chefs propres, s’ils sont réellement des nationaux »(6) L’étudiant Ngongo Lwabo va plus loin : «
Que les Banyamulenge demandent individuellement la nationalité, car
c’est un pur mensonge que de dire qu’ils sont au Congo depuis des siècles.
Allez demander aux Bavira qui les
ont accueillis en 1959 »(7). Visiblement, dans le meilleur des
cas, notre témoin confond les Banyamulenge avec les réfugiés rwandais
tutsis de 1959 ; sinon on l’accuserait de mauvaise foi ou de manipulation,
surtout qu’il n’en manque pas dans la région. Les concernés affirment, comme nous
l’avons déjà vu qu’ils avaient bel et bien une organisation politique
coutumière qui a été sapée par les Belges . Ils obéissaient à Kayira
Bigimba dont la chefferie a été supprimée avec toutes les petites chefferies
à travers le Congo colonial . Prêtons la parole à ce vieux munyamulenge : « Nous
avons été victimes d’une loi qui favorisait les majorités car les Blancs
ne nous aimaient pas sous le prétexte que nous étions arrogants et insoumis,
contrairement aux autres qu’ils manipulaient comme ils l’entendaient.
Pour nous humilier, ils nous ont placés sous l’autorité de nos voisins
sur qui nous avions pourtant un réel ascendant , du fait de nos richesses.
Je pense que vous êtes d’accord avec moi que ce n’est pas du tout facilement
qu’un riche propriétaire de bétail peut obéir à un simple cultivateur
ou à un chasseur . Si nous sommes sans entité coutumière propre à nous
c’est par la volonté des Blancs et non parce que nous sommes
des étrangers »(8) Plus loin , notre vieux trouve que
le fait que les Banyamulenge n’aient pas de chefferie coutumière comme
les autres tribus est à chercher dans ce fait : « nous n’étions guère
intéressés par l’idée de posséder une quelconque terre car seuls les
pâturages pour notre bétail nous intéressait. Or, à cause de ces vaches
justement, nous devrions constamment émigrer d’un coin à l’autre, contrairement
à nos voisins qui sont liés à un endroit parce qu’ils y ont des champs ;
à l’époque nous étions encore de nomades, nous déplaçant au gré des
saisons »(9) 2 .Le manque d’intégration sociale
des Banyamulenge Cet argument revient à chaque fois
qu’il s’agit de nier aux Banyamulenge leur droit à la nationalité congolaise.
On leur reproche souvent – a tort ou à raison – de vivre en marge de
la société congolaise, de se comporter eux-mêmes comme des étrangers.
Laissons parler ce témoin : « Les Banyamulenge prétendent se trouver
chez nous depuis des siècles, mais c’est faux ; descendez à Uvira, sillonnez
Bukavu, allez à Fizi et à Mwenga, vous ne trouverez nulle part des traces
de mariages mixtes . Ils nous méprisent car ils nous refusent leurs filles
en mariage ; ils ne parlent que leur langue le kinyarwanda, prient dans
leurs églises à eux ; bref, ils se comportent de façon unique et marginale
dans ce grand pays multiculturel »(10) Sous cet angle, ils sont nombreux à penser que même si on accordait sur papier aux Banyamulenge cette nationalité, cela ne servirait à rien ni ne changerait pas grand-chose car il faut distinguer une nationalité juridique d’une nationalité sociale Nous nous sommes approchés des membres du Bureau de la Société Civile pour recueillir leur avis sur cette question pour le moins controversée. Voici ce qu’ils nous ont dit, au cours d’un long échange , lorsque nous leur avions demandé l’origine de la marginalisation politique des Banyamulenge, précisément en ce que plus d’une fois les Banyamulenge ont été sollicités pour élire des députés vira, bembe et fuliru, sans qu’on reconnaisse aux candidats-députés banyamulenge le droit d’être éligibles : « Le Munyamulenge électeur mais non-éligible ? Ce sont là les séquelles de la législation coloniale. .En mai1960, les immigrés rwandais et burundais sont électeurs et non-éligibles ; ce que le Belge a laissé, bien sûr que nous pouvons l’améliorer, le moderniser . Le Munyamulenge marginalisé ? Tout ce que nous vous avons dit n’a-t-il pas suffi à vous convaincre que le Munyamulenge s’est lui-même marginalisé ? Il vit cloîtré, en vase clos , comme s’il venait d’arriver au Congo. Principiellement, la question
de la nationalité est constituante ; Si ce projet(de Lusaka) est accepté
par les Congolais, d’accord . Nous n’avons pas à nous prononcer sur la
nationalité de quelqu’un ; Chacun a droit à une nationalité .C’est ce
que nous avons affirmé dans notre message du 12 6 1999. Seulement, une
nationalité sur papier .Il faut aspirer à construire une nation commune
ensemble. Si le texte de Lusaka résout le problème, nous dirons tant
mieux, mais le plus gros restera à faire : la cohabitation. Pas d’inquiétude
sur le comportement de l’élite du Sud-Kivu à propos de la
nationalité des Banyamulenge car nous nous insurgeons contre l’apatridie ;
ce que nous demandons aux Banyamulenge, c’est qu’ils s’intègrent . »(11) Les Banyamulenge ne l’ont jamais entendu de cette oreille. Pour eux, il s’agit d’un prétexte fallacieux dont se servent leurs adversaires pour perpétuer la polémique sur ce qui ne devrait faire l’objet d’aucune controverse. Nous avons abordé le comité directeur de leur mutualité pour recueillir également son avis ;Voici ce qu’il nous a confié : « Nous ne sommes nullement d’accord avec ces propos de nos adversaires politiques. On ne peut pas se servir d’une soi-disant intégration sociale pour nier à tout un peuple ses droits historiques. Est-on obligé de marier la fille d’un tel ou de lui donner sa propre fille en mariage pour obtenir des droits à être reconnu sur le sol de ses ancêtres ? Allez voir : dans quelle proportion y a- il de mariages mixtes entre les Bashi et les Babembe ? ou entre les Bafuliru et les Barega ? Et puis, devons-nous marier nos filles à des gens qui ne veulent pas de nous ?Et nous pourquoi ne leur exigeons pas de nous donner leurs filles en échange d’une reconnaissance de notre part ? Tout part de la manipulation qu’on a fait de l’idée d’autochtonie. Et puis, si on ne triche pas, tout le monde devrait reconnaître que le roi des Bafuliru Mahina Mukogabwe avait épousé par la force beaucoup de nos filles ; cela a-t-il fait avancer pour autant le dossier de notre reconnaissance par eux ? Plus proche de nous le fils la prophétesse munyamulenge Mariamu avait épousé une femme bembe, cela n’a pas empêché aux Babrembe de massacrer froidement la famille de Mariamu. A Uvira, un soldat ex-FAZ munyamulenge qui avait épousé une fille qui n’était pas de notre tribu , a été tué par les habitants d’Uvira qui l’ont mutilé et ont promené son sexe et sa tête dans tout Uvira . Pourquoi donc ne l’ont-ils pas épargné , lui qui était le symbole de l’intégration selon leur entendement et leur gendre par-dessus tout ? Pour nous c’est clair, nous sommes
des Congolais et nous n’entendons le négocier avec personne ; le Congo
n’a pas d’autre choix que de nous accepter et de nous reconnaître tels
que nous sommes avec toute notre identité . Notre nationalité n’est
sujette à aucune condition. Tout le reste n’est que de la diversion
et des histoires. »(12) 3.La guerre du FPR et le retour
massif des Banyamulenge au Rwanda Il est constamment reproché aux Banyamulenge
d’avoir envoyé leurs enfants en formation au maniement des armes dans
le maquis du FPR en 1990, en préparation de la guerre de 96 et d’avoir
prouvé qu’ils étaient des Rwandais lorsque des milliers de Banyamulenge
ont regagné le Rwanda ancestral après la victoire du FPR (à laquelle
ils avaient pris une part active) contre les forces de l’ancien régime
hutu. Cela accrédite, aux yeux de beaucoup de Congolais du Sud-Kivu,
la thèse selon laquelle les Banyamulenge jouent sur un double clavier,
ou plutôt carrément, seraient plus attachés au Rwanda qu’au Congo . Les
Banyamulenge sont ainsi perçus par beaucoup de Sud-Kivutiens comme des
opportunistes qui s’accrochent au Congo ou au Rwanda selon les intérêts
de l’heure. C’est ce qui est ici exprimé : « Nous avons vu partir des jeunes avec qui nous étudiions pour s’engager dans la guerre des Tutsis du Rwanda. Ils sont partis sans rien nous dire selon le culte du secret cultivé chez eux. Auraient-ils pris de tels risques si le Rwanda n’était pas leur pays ? »(13) Kalehezo Maxime ajoute : « Personnellement
je pense que le problème est simple. Ca vient de 94 lorsque des familles
entières tutsies sont rentrées au Rwanda avec les Réfugiés de 59 alors
qu’on les avait toujours pris pour des autochtones. Nous nous sommes
posés des questions . Et lorsque
Kabila est venu avec l’AFDL, certains sont revenus, se faisant passer
pour des Congolais ; d’où un certain imbroglio. Je pense qu’ils ont toujours
le droit à venir se faire enregistrer comme Congolais, à condition que
les Rwandais n’en profitent pas. Moi je reconnais les Banyamulenge comme
compatriotes, même s’ils sont un peu gourmands dans le partage du gâteau
national »(14). Nous l’avons déjà dit. Les Banyamulenge
se sont fait appeler des étrangers opportunistes, des tutsis triomphalistes
qui sont rentrés au Rwanda en 94 pour y savourer les délices de la victoire
sur les forces déchues de Habyarimana en préparant une attaque en règle
contre un pays qui les avait accueillis il y a très longtemps. Mais
, qu’en pensent et disent les incriminés ? L’un d’eux, Musafiri s’est confié à nous : « Le fait que des centaines de jeunes Banyamulenge soient allés combattre dans le maquis du FPR est indéniable. Je tiens toutefois à dire à ceux qui veulent comprendre que ces jeunes sont partis de leur propre chef, sans nul mandat ni de la communauté toute entière, ni même de leurs propres parents. Ils partaient souvent en cachette ; En plus , le fait qu’ils soient partis n’infère rien de façon nécessaire. Ne perdons pas de vue que la plupart de ces jeunes partageaient le même mécontentement et le même désespoir avec des millions d’autres jeunes zairois devant un avenir sombre . Quitter le Zaire pouvait signifier pour nombre d’entre eux, un nouveau départ vers des horizons plus prometteurs . Mais , honnêtement, pour les jeunes Banyamulenge s’ajoutait le fait qu’ils étaient discriminés du fait de leur ethnie. Rappelez-vous qu’on venait de les molester à Mboko, à Kasenga et à Luvungi, leur empêchant de présenter leurs examens d’Etat. Avec la guerre du FPR , l’occasion de fuir ce Zaire de plus en plus hostile et sans réelle perspective pour l’avenir, ajoutée à une vraie sympathie naturelle pour d’autres Tutsis de la région sont à mettre ensemble dans les mobiles qui ont poussé ces jeunes à aller combattre pour le FPR.Ici , il faut aussi dire que des jeunes bembe, fuliru ou vira sympathisent souvent et font cause commune avec la rébellion hutue burundaise sans que le droit à la nationalité congolaise ne soit dénié à leurs groupes ethniques respectifs. Qui veut noyer son chien l’accuse de rage »(15) Quant au prétendu retour au bercail des Banyamulenge, le même monsieur renchérit, en ces termes : « Nous ne sommes pas les seuls Congolais à avoir fui la misère de notre pays. Il y a de plus en plus des Congolais qui émigrent en Europe , en Amérique, en Afrique du Sud , en Angola, en Zambie, au Burundi , en Uganda et au Rwanda .D’ailleurs, il est
rare de trouver au Rwanda une école secondaire qui ne compte pas en
son sein au moins un enseignant congolais. Il ne faut pas tricher : le
fait de fuir le chaos congolais constitue-t-il un délit ou c’est plutôt
le fait de s’établir au Rwanda qui
cause problème pour nos compatriotes. Dans ce cas, il faut alors
avouer que nous sommes devant un racisme qui ne veut pas dire son nom,
et pour lequel tout ce qui est lié au Rwanda , et au Tutsi par ricochet,
sent mauvais . Mais jusque là que l’on me dise en quoi c’est un délit
punissable par le retrait de notre nationalité. »(16) 4. La loi de 1981 Pour nombre de Congolais du Sud-Kivu, nous l’avons dit et redit, si les Banyamulenge veulent devenir des congolais ils n’ont qu’à le demander individuellement ainsi que c’est exigé au terme de la loi de 1981. Et pour cause. Ils n’appartiendraient pas à l’une des tribus existantes au pays avant le découpage de l’Afrique. D’ailleurs, entend-on souvent : l’ethnonyme « Banyamulenge » n’en est pas vraiment un , mais plutôt il s’agit là d’un toponyme inventé de toute pièce par des intellectuels banyamulenge pour se faire passer pour une tribu authentiquement congolaise. Ecoutons un officiel congolais : «
Les Tutsis rwandais immigrés, qu’ils s’appellent Banyamulenge - comme
on pourrait s’appeler Banyakinshasa ou BanyaParis- ne peuvent avoir
la nationalité zairoise que par demande individuelle et non collectivement.
L’argument historique étant à exclure, d’autres arguments, notamment
la filiation à la race et à l’idéologie tutsie sont hélas clairement
démontrés depuis la victoire et l’hégémonie tutsi au Rwanda et au Burundi...L’idéologie
raciste et hégémonique tutsi tente de dépasser les limites désormais
étroites du Rwanda et du Burundi pour
prétendre à une domination sur le Centre de l’Afrique »(17). Ces propos se passent de tout commentaire.
D’ailleurs, ils sont nombreux au Congo en général et au Sud-Kivu en
particulier, à voir les choses ainsi . Qu’il nous suffise ici de citer
cet étudiant qui nous a déclaré que : « cette race n’existait pas au
Congo . Nous sommes tous venus du Sahara tandis qu’eux, on ne sait d’où
ils sont originaires. Ils n’ont rien de commun avec l’ensemble de la
nation congolaise, et, comme ils sont minoritaires, ils constituent
un groupe de pression et veulent prendre le pouvoir par la force. »(18) Evidemment , les concernés sont loin de partager ces avis, à leurs yeux discriminatoires . Laissons l’un d’eux qui a connu le cachot de Mobutu( pour raison d’appartenance à ce groupe) au tout début septembre 96 nous donner son témoignage : « Lorsque j’ai été emprisonné avec d’autres Banyamulenge en septembre 96 à Uvira, un capitaine des faz , originaire du Mayombe nous a dit ceci : vous les Tutsis, vous ne serez jamais considérés comme des Zairois. Voulant en savoir plus , j’ai pris tout mon courage pour demander à ce capitaine pourquoi il le disait, il m’a répondu qu’au Zaire on ne pratique pas le jus soli mais plutôt le jus sanguinis. J’ai été choqué d’entendre que mon sang de tutsi(pour autant qu’il est différent du sang ses non-Tutsis) serait ainsi incompatible avec le sol zairois . Mais pourquoi ? La réponse se fait toujours attendre »(19) Il faut le dire. Les Banyamulenge
, comme d’ailleurs les populations rwandophones(Hutus et Tutsis) de
Rutshuru ne se sont jamais sentis concernés par cette loi de 1981 ; pour
eux, elle visait les rwandophones de Masisi qui sont pour la plupart
des transplantés et des immigrés arrivés au Congo bien avant 1885. En
effet, pour être juste , le simple fait d’être tous des Rwandophones
ne place pas forcément tous les locuteurs du Kinyarwanda dans une même
situation historique ni juridique 5. La guerre dite des Banyamulenge. Les Banyamulenge ne peuvent pas prétendre encore à la reconnaissance comme des compatriotes, étant donné qu’ils ont porté les armes contre le Congo en 96 et en 98, déclarent en substance les habitants du Sud-Kivu Cet argument étonne plus d’une personne avisée du moment que l’on sait(c’est ce que ce rapport a tenté de démontrer) que les difficultés en rapport avec la nationalité des Banyamulenge ne datent pas de 96. Loin s’en faut. Pour le moment, écoutons les arguments des uns et des autres sur cette question . Un prêtre d’Uvira interrogé nous a dit ceci : « La population congolaise a été profondément choquée par le fait que ceux avec qui nous avons toujours vécu sont allés au Rwanda combattre pour le compte du FPR et sont revenus avec lui pour attaquer le Congo dont ils se disent en même temps des citoyens. La population n’accepte pas que la question de la nationalité soit posée par la voie de la guerre »(20). Il n’est pas le seul à le dire ; écoutons son confrère : « A mon avis , vu les deux guerres, nous sommes mal partis. La nationalité ne se réclame pas les armes à la main. En partie la faute incombe à nos politiciens qui n’ont pas été clairvoyants, car on doit quand-même reconnaître que les Banyamulenge ont aussi des droits chez nous et que nous ne pouvons pas les faire partir du jour au lendemain Cependant , Il y a des lois à suivre. Même si nous avons pris trop de temps à régler ce problème, à cause du désordre qu’il y avait au pays, les Banyamulenge ont tort de réclamer leurs droits par la voie de la guerre. »(21). Pour sa part, une fille intellectuelle
interrogée nous a dit ceci : « on est fatigué de se tirailler ; il faut
que les Banyamulenge acceptent des cartes pour étrangers et paissent
paisiblement leurs troupeaux de vaches. Pourquoi utiliser la force pour
avoir la nationalité ? En 96 on a parlé des Banyamulenge, aujourd’hui
on parle du Rwanda et de l’uganda : où est la vérité dans tout ça ? Entretemps
les Banyamulenge se sont déjà créé
gratuitement beaucoup d’ennemis parmi les Congolais ; ce qui rendra
encore plus compliqué leur sort ici au Congo »(22). Deux Babembe, tribu voisine des
Banyamulenge avec laquelle les rapports n’ont pas toujours été bons
disent à peu près la même chose : « Les Bembe disent que ce n’est pas
au près d’eux que les Banyamulenge doivent demander la nationalité ,
mais plutôt en haut lieu. Le problème actuel c’est que, appuyés par
leurs frères les Tutsis, ils veulent nous dépouiller de notre
terre ; c’est ce qui se passe avec le territoire de Minembwe qu’ils
ont arraché par la force »(23) L’autre dit que
« on vient de fausser cette question ( pour lui soluble) en recourant
aux armes. Si au niveau supérieur on résout cette question, nous Babembe
ne voyons aucun inconvénient à les reconnaître comme concitoyens, surtout
qu’ils ne nous menacent pas à long terme étant donné leur nombre »(24) . Les Banyamulenge réagissent vivement
à ces considérations de leurs compatriotes. Ecoutons monsieur Ndayi : « Ce
ne sont pas les Banyamulenge qui ont combattu le Zaire ; c’est le Zaire
qui les a rejetés. Ne perdez pas de vue que le rapport Vangu les a rendus
apatrides et déclarait leurs biens des biens nationaux ; avant cela à
la Conférence nationale la société civile les avait déclarait étrangers ;
souvenez-vous des propos d’Anzuluni Bembe à Fizi, Baraka et Uvira, rappelez-vous
le meeting du gouverneur Kyembwa à Fizi en juillet 96 ; remémorez-vous
le message du bourgmestre d’ Uvira Shweka qui avait demandé à la population
d’ Uvira d’écraser le serpent(pour signifier par là les Banyamulenge),
n’oubliez pas que le vice-gouverneur Lwabanji avait donné aux Banyamulenge
un ultimatum pour quitter le pays. Tous ces faits sont authentiques
et sont antérieurs à la guerre de 96Les Banyamulenge avaient-ils seulement
une autre alternative ?Et puis, on oublie facilement de prendre en compte
le fait que ces deux guerres ont aussi une dimension extérieure. Si
les puissances extérieures voulaient se débarrasser de Mobutu, en passant
par le Rwanda et l’Uganda, de quels moyens disposaient les Banyamulenge
pour s’y opposer ? Il y a eu bel et bien concours des circonstances ,
un double agenda. Celui des Banyamulenge était de lutter pour leur survie,
alors que la politique internationale poursuivait un autre objectif.
Le concours des circonstances a été favorable aux Banyamulenge, c’est
tout. Il ne faut pas chercher les poils dans les oeufs. »(25) |