HAKI KWETU
(Monitoring des Droits
de la Personne Humaine et Promotion de la Justice au Congo)
EST-IL ENCORE POSSIBLE DE VIVRE
ENSEMBLE AU SUD- KIVU ?
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Tél: ( 0250) 08538264
PREAMBULE
Le
Congo, notre pays, connaît une guerre injuste et superflue dont les
causes sont à inscrire dans un double contexte à la fois
interne et régional . Depuis des années
déjà, des analystes au regard perspicace auraient pu prévoir que les
différentes contradictions générées, d’une part, par la gestion chaotique
du pays par le défunt régime Mobutu, d’autre part par les régulières
secousses sanglantes qu’ont connues les pays voisins de l’Est ne pouvaient
inéluctablement que conduire à une pareille crise, selon l’adage consacré
:
« les mêmes causes, produisent
les mêmes effets dans les mêmes conditions ».Toutes choses
étant égales par ailleurs .C’est donc dans la mauvaise gestion de la
société congolaise depuis des décennies et dans le débordement, sinon
dans le transfert des problèmes récurrents, en l’occurrence des incidences
de l’ethnicité au Rwanda et au Burundi , qu’il faut chercher les racines
du conflit dont souffre le Congo aujourd’hui . Il faut ajouter à ce
tableau déjà significatif à lui seul, - pour être complet- les crises
de l’Uganda et de l’Angola
Nous estimons que la méconnaissance
, dans le diagnostic du conflit congolais, de l’un de ces deux pôles
, conduit à une exégèse incomplète et donc insuffisante du cas congolais,
et , retarde par là, sinon compromet pour longtemps encore les chances
de sortir de ce bourbier.
«
L’Afrique est un revolver dont la gâchette se trouve au Congo
», disait déjà à l’époque le célèbre explorateur Morton Stanley. Il
importe donc ,si l’on ne veut voir toute l’Afrique centrale basculer,
de s’atteler à résoudre ce conflit qui n’a pas encore dit son dernier
mot. Dans cette perspective s’impose une lecture objective, qui ne laisse
rien au hasard dans l’interprétation de l’histoire politique de notre
pays depuis son accession à l’indépendance jusqu’à ce jour.
Il est évidemment prétentieux
, voire impossible de faire tous les contours de cette situation complexe,
à l’image de ce géant d’Afrique et au regard du nombre des intervenants
extérieurs .(…)
Pour ce faire, nous avons
ciblé la province du Sud-Kivu même si par beaucoup d’endroits la même
situation se retrouve aussi dans la province jumelle du Nord-Kivu. Notre
choix se trouve motivé par un souci réel de mieux cerner les problèmes
qui assaillent les populations civiles de cette région , mais aussi
parce qu’au Sud-Kivu , plus que partout ailleurs un certain intégrisme
politico-ethnique d’un autre âge est en train de refaire surface et
d’avoir raison des nombreux efforts de trouver des solutions durables
à cette guerre.
Il va sans dire qu’une brève
lecture de l’histoire politique et sociale du Sud-Kivu à la fois dans
le contexte congolais et des Pays des Grands-Lacs nous aidera à comprendre
davantage certains des aspects du conflit actuel qui continue d’endeuiller
de nombreuses familles et d’hypothéquer pour longtemps encore l’avenir
d’une belle région pleine de potentialités.
Ce rapport est articulé en
trois parties, a savoir :
Quelques
repères de l’histoire socio-politique
Un
exposé sur la situation actuelle
Conclusion
: peut-on encore sortir de ce bourbier ?
Après cette brève introduction
à l’histoire du Sud-Kivu, nous nous attarderons dans le corps de ce
rapport , sur quatre points( l. la situation socio-économique
; 2. la perception de cette guerre par les Congolais
;3. la situation sécuritaire au Sud-Kivu ;4.le statut
des Banyamulenge et les chances de la coexistence) , en accordant
la parole à des témoins issus des milieux différents et représentant
des opinions divergentes- pour permettre plus tard un débat
Controversé.
A.
QUELQUES REPERES DE L’HISTOIRE SOCIO-POLITIQUE DU SUD-KIVU .
Tout le monde le sait. La
misère et les frustrations du peuple congolais ne datent pas de la guerre
pompeusement baptisée de « guerre de libération » ou de «
révolte des Banyamulenge »de 1996 , comme certains voudraient
le faire accréditer. Loin s’en faut. Déjà, en 1960, c’est dans l’agitation
et l’affrontement que l’indépendance du Congo fut arrachée au pouvoir
colonial belge par une classe politique faite pour l’essentiel de leaders
non préparés aux nouveaux défis qui les attendaient. En 1960, l’immense
Congo ne disposait alors que de 6 universitaires au total ; l’inexpérience
et le manque de culture politique de la part des leaders congolais de
l’époque le disputait , pour nombre d’entre eux, avec le démon des nationalismes
étroits, juste à l’échelle de leurs ethnies respectives. Cet état des
faits –ajouté aux convoitises de la Métropole vite écartée de cette
chasse gardée immensément riche- a contribué à créer une situation explosive
qui allait durer pendant cinq bonnes années. L’intervention de l’ONU
n’y fit ; il fallut attendre le mois d’octobre 1965 pour que le général
Mobutu mette fin aux différentes rébellions et sécessions qui avaient
balkanisé le pays.
De tous les mouvements rebelles
et sécessionnistes de l’époque, celui de Pierre Mulele, allié à un certain
Laurent-Désiré Kabila allait toucher sévèrement la Province Orientale
et le Sud-Kivu.
Curieusement, la rébellion
muléliste recruta la plupart de ses adhérents dans les rangs des Babembe
et Bafuliru principalement, ethnies voisines et rivales des Banyamulenge.
En revanche les Banyamulenge se tournèrent vers le pouvoir central de
Kinshasa à qui ils prêtèrent main forte par le biais des guerriers banyamulenge.
Sans le concours de ces guerriers banyamulenge, le pouvoir de Mobutu
aurait eu tout le mal du monde à venir à bout de la rébellion muléliste
, retranchée principalement dans la forêt , derrière la Chaîne des Mitumba
, à la hauteur du massif de Nganja- Fizi.
Ces guerriers banyamulenge
présentaient le double avantage de maîtriser la structure géographique
du coin ( par rapport à une armée hétéroclite venue des quatre coins
du Congo) et de protéger leurs troupeaux de vaches sérieusement menacés
par les rebelles de Mulele et de Kabila .
De cette époque date le plus
grand conflit entre les Banyamulenge d’une part, et les Babembe et Bafuliru
d’autre part, surtout entre Banyamulenge et Babembe au Sud-Kivu.
Jusque là la question de
la nationalité ne s’était pas encore posée au Sud-Kivu. D’ailleurs ,comment
pouvait-elle se poser quand on sait qu’à la veille de l’indépendance
les Banyamulenge( à l’époque appelés Banyarwanda ) avaient, à l’instar
d’autres tribus congolaises participé à la vie politique nationale ,
en élisant et en se présentant comme candidats aux élections municipales
de la veille de l’indépendance ? S’ils n’avaient pas encore eu des parlementaires
les toutes premières années de l’indépendance, c’est parce qu’ils venaient
à peine de prendre le chemin de l’école ; ils n’avaient en 1960 aucun
humaniste. Par contre , les Banyarwanda du Nord-Kivu, qui avaient été
au contact avec les Européens depuis bien avant, participèrent entièrement
à la vie politique du pays à tous les échelons jusqu’au gouvernement.
Il faudra attendre 1972 pour
qu’un munyamulenge, Gisaro Muhoza se fasse élire comme député(parlementaire)
du Sud-Kivu. Il fut réélu sans aucune entrave en 1977 et mourut malheureusement
avant d’achever ce mandat, en1980. Un autre Munyamulenge, Nganire Ntare
se présenta aussi aux élections législatives de 1977 pour balancer le
monopole de Gisaro sur la communauté Banyamulenge ; et si Nganire échoua
à passer comme député, ce ne fut certes pas du fait de sa nationalité
douteuse(parce que Gisaro, lui passa) mais parce que novice en politique
et sans moyens financiers suffisants comme son challenger.
Il faut noter, à toutes fins
utiles que les adversaires politiques de Gisaro, en l’occurrence Ramazani
Mwene Malungu , Anzuluni Bembe , Muzimawa Muzima ,Kanyegere, pour ne
citer que ceux-là, se réjouirent de cette disparition inattendue de
Gisaro, qui était devenu un concurrent de taille et qui, par là , pouvait
faire ombre à leur carrière. Ne perdons pas de vue qu’ils se disputaient
tous le même électorat du Sud-Kivu. Commence alors une période tumultueuse
des relations des populations rwandophones en général avec le pouvoir
zairois , et avec les politiciens originaires du Kivu de façon particulière.
En 1981, le Parlement zairois
fit signer par le Président Mobutu une ordonnance-loi (la loi n° 81/002
du 29 JUIN 1981) qui stipulait qu’étaient citoyens zairois d’origine
ceux dont les ascendants ou les tribus se trouvaient sur le territoire
national avant 1885( date de la Conférence de Berlin) . Pour certaines
catégories de rwandophones( notamment ceux de Rutshuruet ceux de Mulenge)
cela ne constituait en rien une nouveauté ni ne les lésait dans leur
droit à la nationalité zairoise( car ils sont établis sur le territoire
zairois bien avant cette date) D’ailleurs, cette loi venait abroger
l’ordonnance-loi n°71-020 du 26 mars 1971 et la loi n°72/002 du 5janvier
1972 qui, toutes les deux s’appliquaient aux Banyarwanda de Masisi et
non aux populations rwandophones de Rutshuru comme de Mulenge.
Cependant, dans ce pays sans
loi, où l’autorité de l’Etat a cessé d’exister depuis belle lurette,
le Comité Central du Parti unique , sous pression des politiciens originaires
du Kivu, rejette systématiquement les candidatures des Banyamulenge(
Dugu, Musafiri et plus tard Mutambo pour le Sud et d’autres pour le
Nord) sous prétexte qu’ils sont de « nationalité douteuse ». Cela se
passa en 1982 et en 1987 . Il sied ici de rappeler que les populations
banyamulenge, déclarées à nationalité douteuse étaient néanmoins sollicitées
pour élire des parlementaires Bembe, Fuliru, Vira et Rega . Les Banyamulenge
réagirent violemment en brûlant les bureaux de vote et en molestant
les commis de l’Etat préposés à ces élections qu’ils qualifiaient d’iniques.
Après ces actes , braucoup de Banyamulenge –même innocents- furent interpelés
et injustement arrêtés par les forces de Mobutu du seul fait d’être
des Banyamulenge et pour cette raison supposés être de mèche avec les
inciviques.
En 1989, l’Etat zairois organisa
un recensement appelé« identification des Nationaux » dans les seules
provinces du Kivu. Cette mesure fut mal ressentie par les populations
rwandophones car elles se sentaient ainsi discriminées- surtout que
même au sein de cette population , les Tutsis, du fait de leur morphologie
étaient plus visés que les Hutus du Nord-Kivu- et cette discrimination
n’était plus le fait des politiciens véreux et irresponsables mais plutôt
la politique officielle de l’Etat zairois. Il y eut même des personnes
appartenant à d’autres ethnies( Shi et Luba, par ex.) qui se virent
recensées comme étrangères à cause de leur apparence physique semblable
à celle des Tutsis. Cette mesure venait de consacrer de fait l’apatridie
des populations rwandophones du Zaire. Cette situation exacrba les tensions
ethniques dans le Sud-Kivu et eut comme conséquence dans la collectivité
d’Itombwe la mort du chef Rukamirwa(munyamulenge), tué par les hommes
d’Anzuluni Bembe . Les Banyamulenge,à leur tour réagirent en tuant sauvagement
le pasteur Ndulu(un mubembe) . Depuis ce temps – là la tension et la
méfiance entre les deux communautés ethniques montèrent d’un cran.
Cette mesure mériterait notre
attention dans la mesure où il est étonnant que dans un pays comme le
nôtre , entouré par neuf autres pays , la question de la nationalité
ne se pose que pour les populations rwandophones alors que le partage
arbitraire de l’Afrique à Berlin en 1885 n’a tenu compte ni des liens
culturels , linguistiques ou de consanguinité, mais plutôt des intérêts
des colonisateurs de l’époque et que donc par conséquent, beaucoup d’ethnies
africaines se sont retrouvées du jour au lendemain de part et d’autre
d’une ou de plusieurs frontières divisant des pays. Rien qu’au Zaire
de Mobutu , les Ngbandi(sa tribu) se retrouvent au Zaire et en RCA ;
les Azande sont au Zaire , au Soudan et en RCA ; on retrouve les Bakongo
au Zaire, au Congo-Brazza et en Angola ; les Lunda comme les Bemba sont
au Zaire et en Zambie. Les Banyarwanda ne sont donc pas les seules populations
à se retrouver au Zaire et en dehors de ce pays. Déjà au Kivu, les Banande,
éternels rivaux économiques des Banyarwanda au Nord-Kivu se retrouvent
de l’autre côté de la frontière en Uganda où on les nomme les Bakonjo.
Pour être complet , nous
ne pouvons manquer de mentionner le fait que sous Mobutu, des réfugiés
rwandais de 1959 avaient prospéré dans les affaires(c’est le cas entre
autres de Gahiga, Miko,Bisengimana, pour ne citer que les plus illustres…)
et que même certains parmi eux étaient entrés dans les bonnes grâces
de Mobutu et avaient pénétré jusque dans son entourage. C’est le cas
de BisengimanaBarthélémy qui avait été le directeur de cabinet de Mobutu
pendant 11ans. Généralement ces réfugiés Tutsis de 1959 étaient bien
introduits dans les milieux zairois ,et jouissaient
de fait de la nationalité zairoise. Les autorités zairoises n’avaient-elles
pas accordé jusqu’aux réfugiés de 1959 et même aux clandestins la nationalité
congolaise ? Il faudra la loi du 5janvier 1972 pour reconnaître cette
nationalité congolaise aux «
personnes originaires du Rwanda-Urundi qui étaient établies
dans la province du Kivu avant le 1er
janvier 1950 à la suite d’une décision de l’autorité coloniale et qui
ont continué à résider depuis lors dans la république jusqu’à l’entrée
en vigueur de cette loi, ont acquis la nationalité
zairoise au 30 juin 1960. ». D’aucuns y voient l’influence de
Bisengimana. Ecoutons plutôt l’intéressé s’exprimer devant le Conseil
Législatif( Parlement) : « La
décision du Bureau politique avait été prise pour que soit régularisé
une fois pour toutes le cas de ceux qui avaient été déportés chez nous
par la volonté de l’autorité coloniale et qui, de ce fait, ont passé
de nombreuses années dans notre pays et ont accédé à l’indépendance
en même temps que nous , participant à nos déboires et mésaventures
»( cfr P.V. d’audition du conseil législatif, cité par Reyntjens
et Marysse, Conflits au Kivu : antécédents et enjeux, Centre
d’étude de la région des Grands lacs d’Afrique, université de Namur,
déc. 1996 ,p. 22.
Au Nord-Kivu , où des problèmes
fonciers récurrents opposaient les Banyarwanda aux populations dites
« autochtones », avec la nationalisation(zairianisation) des biens des
expatriés( c’est là que d’aucuns situent le début du déclin de l’économie
zairoise), le problème s’aggrava , opposant ces Bahunde à des Tutsis
à la recherche des pâturages pour leurs grands troupeaux de bovins.
Des méchantes langues associent d’ailleurs feu Barthélémy Bisengimana
(du fait de sa position à l’époque) à cette décision de Mobutu de «
zairianiser » et prétendent que, de toutes les façons, les « Rwandais(entendez
par là les Tutsis) en avaient tiré le plus grand profit. Petit à petit,
au Kivu, Tutsi devint synonyme de « colon, acquéreur, envahisseur… »
Globalisation et défaut de nuances vont marquer de leur empreinte les
relations entre les deux blocs et vont faire le lit des stéréotypes
et des clichés séculaires
Il faut situer tout ceci
dans un contexte de paupérisation continuelle de la population.
Les Banyamulenge, au Sud,
quoique aussi pauvres, gardaient toujours leurs troupeaux de bovins
, de caprins et d’ovins. En plus , la découverte des gisements d’or
(jusqu’aujourd’hui exploités de façon artisanale) ne pouvait qu’attirer
les convoitises des voisins de la plaine côtière. Lors des différentes
campagnes électorales ,d’ailleurs, les candidats parlementaires disaient
ouvertement : « nous chasserons les Banyamulenge(ils préféraient dire
Banyarwanda) et vous mangerez leurs vaches. »
Monseigneur Kanyamachumbi
s’exprime à ce sujet : « Le peuple du Kivu avait été spectateur scandalisé
de l’opulence des Blancs, des barons du régime et de quelques Tutsis
La classe des riches s’est accaparé de toutes les richesses et le petit
peuple se nourrissait des jalousies à longueur des journées . Il n’y
a pas eu de justice distributive ni de solidarité entre les citoyens
»(1).
En 1990 le FRR attaque le
Rwanda à partir de l’Uganda . Partout, dans les milieux tutsis une sorte
de « sionisme » voit le jour . Des jeunes banyamulenge découvrent
sur le tard leur identité tutsie et épousent la cause du FPR dont ils
s’engagent dans le maquis – souvent à l’insu, sinon contre le gré des
parents- en abandonnant établissements scolaires , familles et troupeaux
de vaches . Ils ne peuvent le faire sans attirer la curiosité des tribus
voisines qui sympathisent déjà avec le régime Habyarimana qui a réussi
à faire passer la thèse selon laquelle ce sont des Tutsis féodo-monarchistes
nostalgiques appuyés par un président Hima pour restaurer l’ « empire
hima-tutsi » au détriment des « Bantous » Cette idéologie subtile et
sournoise n’ a pas de mal à se répandre dans les milieux du Sud-Kivu
, surtout que l’on n’est encore loin d’oublier les tristes événements
de 72 au Burundi.
C’est également la période
où , partout en Afrique l’on commence à réclamer plus de démocratie,
à la faveur du « vent de l’Est ». Des conférences nationales sont organisées
dans beaucoup de pays . Au Burundi comme au Rwanda c’est aussi dans
l’air du temps . Au Zaire, Mobutu ne peut plus pour longtemps encore
freiner cette aspiration populaire à plus de démocratie et d’ouverture
politique. La CNS est convoquée, non sans beaucoup d’obstacles, mais
les langues se déchaînent et le peuple croit déjà arrivée l’heure de
son rendez-vous avec l’histoire. C’est sans compter, bien sûr avec la
capacité de nuisance du système Mobutu. Au cours de ces assises , toutes
les questions intéressant la vie nationale sont débattues , et un nouveau
projet de société est adopté . Seulement , les conférenciers originaires
du Kivu , très influencés par la toute récente « société civile » manquent
de générosité en développant un discours franchement raciste à l’encontre
des populations rwandophones de l’Est ,et précisément des Tutsis. Aucun
Tutsi (du Sud comme du Nord-Kivu)n’est autorisé à participer à ces assises
pourtant charger de définir les grandes orientations de la politique
nationale. Même monseigneur Kanyamachumbi ( Secrétaire Général de l’épiscopat
zairois) est chassé de ces assises où il siégeait déjà en sa qualité
de représentant de la puissante église catholique pour cause de nationalité
douteuse sans que son patron (mgr Monsengwo) proteste. Il n’est pas
superflu de rappeler que la commission chargée de valider les mandats
des conférenciers est dirigée par un membre du bureau de la société
civile du Sud- Kivu( Chiralwirwa Gervais) ;
on dirait décidément que les Tutsis en bloc sont rendus
responsables de la situation qui a prévalu au pays. Il est à
la fois étonnant et symptomatique que le motif invoqué reste celui de
la nationalité douteuse alors que des Hutus sont admis à siéger à ces
assises( c’est le cas de Sekimonyo qui deviendra même ministre de l’Education
après la CNS).
Au Burundi voisin ,pendant
ce temps un Hutu arrive au pouvoir à l’issue des premières élections
démocratiques du pays. Melchior Ndadaye sera assassiné seulement trois
mois après son investiture .
Symptomatique est la réaction
de la population zairoise d’Uvira : le jour où Ndadaye est assassiné
à Bujumbura , les Banyamulenge ne peuvent se promener librement dans
la ville d’Uvira car ils sont lapidés par leurs compatriotes et s’entendent
dire : « vous avez tué notre président ».
Il importe de rappeler que
beaucoup de Hutus burundais sont à Uvira depuis 72 où ils ont réussi
à s’intégrer dans la population congolaise. Ils se sont mariés avec
les populations autochtones et se confondent avec elles.
La crise de 1993 au Burundi
va encore déverser sur Uvira beaucoup de réfugiés parmi lesquels on
compte les parlementaires du FRODEBU( parti de feu Melchior Ndadaye)
La radio « Rutomorangingo»
émet à partir d’Uvira et profère injures et menaces contre les Tutsis
à longueur de journée, à la grande satisfaction du petit peuple du lieu.
En avril1994 Habyarimana
meurt et le génocide des Tutsis est immédiatement déclenché au Rwanda
; trois mois plus tard, le Kivu est littéralement submergé par cette
marée humaine que constitue les réfugiés hutus rwandais. Vite, une sorte
de sympathie , mêlée à la compassion envers ces «
nouveaux Palestiniens » se fait remarquer dans le chef des Congolais,
à part que les soldats de Mobutu en profitent pour se servir sur ces
malheureux réfugiés.
Au Nord-Kivu déjà depuis
plus d’une année les populations rwandophones(Hutus et Tutsis) ont été
pris à partie par les Mai-Mai et les Bangilima ; beaucoup de Tutsis
s’en iront au Rwanda, après la victoire du FPR.
Au Sud-Kivu l’étau se resserre
autour des Banyamulenge forçant certains d’entre eux à traverser vers
le Rwanda où ils espèrent ainsi trouver un havre de paix. Ce départ
–jusque là volontaire- est interprété par les autres Congolais comme
le retour des Banyamulenge vers le bercail , longtemps attendu. Tout
ceci sur fond de blocage et de crise des institutions à Kinshasa. Le
dictateur honni et traîné dans la boue à la Conférence nationale est
revenu en force et ne veut pas entendre parler de son effacement à la
tête du pays.
Un homme aura beaucoup contribué
à précipiter les événements au Sud-kivu :Anzuluni Bembe( un Mubembe,
président du Parlement de transition et ennemi juré des Banyamulenge)
Il initie une commission
parlementaire chargée d’étudier la question de ces réfugiés rwandais
(que le gouvernement zairois a installés à la porte du Rwanda, en violation
flagrante des conventions internationales en la matière) . Mais curieusement
, ladite commission préfère étudier le statut des populations rwandophones
du Kivu(dont les Banyamulenge). Le rapport VANGU propose de chasser
les « Banyarwanda , de les expulser de l’administration , de l’armée
et des services de sécurité et de saisir leurs biens déclarés « biens
nationaux » Il est clairement fait mention du projet d’installation
de l’ « empire hima-tutsi ». Anzuluni Bembe va se servir de ce rapport
« Vangu » pour proposer d’expulser les Banyamulenge du territoire national
et depuis lors les choses prennent une tournure inattendue .
Les Banyamulenge ressentent
très mal ce rapport dit Vanguet le commissaire de zone Shweka Mutabazi(
un Hutu dont on situe les origines à Kibuye au Rwanda) en profite pour
les harceler et , lors des meetings populaires(notamment à Kasenga)
, il n’hésite pas à appeler les populations d’Uvira à tuer les Banyamulenge
qu’il appelle volontiers serpents .De commun accord avec le gouverneur
du Sud-Kivu,il veut mettre en exécution les mesures préconisées par
le Parlement zairois ; le gouverneur monte à Minembwe( dans les Hauts
Plateaux des Banyamulenge) en compagnie du leader hutu burundais Léonard
Nyangoma ( probablement en mission de reconnaissance) et, de retour
de cette mission, le gouverneur Kyembwa demande aux Babembe à Fizi de
ne plus acheter les vaches des Banyamulenge sous prétexte que ces vaches
leur reviendraient de droit , une fois les « Rwandais » rentrés chez
eux. Le gouverneur exacerbe les sentiments xénophobes dans un climat
déjà très tendu .
Pendant ce temps au Rwanda
voisin , les incursions des interahamwe à partir du Kivu font beaucoup
de victimes dans la communauté tutsie, spécialement chez les Rescapés
du génocide.. Or, cette communauté ne s’est pas encore remise du génocide
et le régime de Kigali est encore très fragile pour tolérer d’être continuellement
provoqué par les forces génocidaires. Quant au Burundi , les officiers
tutsis ont encore placé Buyoya au pouvoir .
C’est pendant ce temps que
Kigali prépare discrètement son intervention au Congo contre ses ennemis
jurés que sont les interahamwe et ex-FAR, mêlés à la population civile
des camps .Il faut bien trouver un prétexte pour intervenir en pays
étranger et souverain, car le droit de poursuite ne suffit pas à faire
l’unanimité sur ce qui peut bien paraître comme une agression extérieure.
Des soldats banyamulenge qui avaient été formés dans les maquis du FPR
, ajoutés à d’autres jeunes banyamulenge formés au Rwanda pour les besoins
de la cause connaissent mieux le milieu et constituent le premier fer
de lance des bataillons qui s’infiltrent pour attaquer le Zaire à partir
du Sud-Kivu. Ces soldats sont parfaitement au courant de la triste évolution
de la situation au Sud-Kivu et craignent le pire pour leur communauté.
Ils trouvent une opportunité exceptionnelle pour aller protéger les
leurs sérieusement menacés d’expulsion , voire d ‘extermination. En septembre
1996, les premières escarmouches opposent ces infiltrés aux soldats
de Mobutu à Kiringye. Les civils banyamulenge et Tutsis en général en
font les frais. A Uvira on emprisonne tous les Tutsis pendant que leurs
biens sont livrés en pâture aux pillards ; dans la Plaine on traque
tous ceux qui sont de souche tutsi tandis que dans la zone de Fizi,
Ramazani Mwene Malungu ( ministre bembe de Mobutu) propage ouvertement
un discours raciste appelant les Babembe à exterminer ces « étrangers
» soupçonnés d’être de mèche avec l’ennemi. Ce leader bembe ordonne
lui-même et fait exécuter plusieurs centaines de civils innocents (don’t
des femmes , des enfants et des vieillards, à Abela . De même, de paisibles
bergers banyamulenge sont froidement massacrés à Nganja , plus au Sud
par des miliciens bembeà la solde d’Anzuluni et de Ramazani de même
que par les soldats de Mobutu. Suivent des massacres des populations
civiles par milliers ; ceux qui croient échapper se voient jeter dans
la rivière Ruzizi.
Le Rwanda en profite pour
alerter la communauté internationale à propos de ces pogroms que l’on
n’hésite pas à qualifier d’actes de « génocide ». C’est à ce moment
que la guerre éclate ouvertement, opposant ces jeunes banyamulenge,
lourdement « appuyés » par l’APR. Disons que l’entrée en scene des
combattants banyamulenge ne va durer pluds de deux mois
En peu de temps les villes
du Kivu tombent l’une après l’autre , comme des fruits mûrs et les camps
de réfugiés sont démantelés, devant le regard médusé d’une communauté
internationale prise à court par la rapidité des événements. Il faut
parer au plus pressé pour trouver à cette « rébellion des Banyamulenge
» une légitimité nationale. C’est alors qu’entre en scène un certain
Laurent Kabila, sorti des tiroirs par le Rwanda contre l’avis des Banyamulenge
encore marqués par la rébellion de 1964. Entretemps , le personnage
s’était converti en homme d’affaires ,loin de toute ambition politique
; le voilà donc qui saisit à bras-le-corps cette occasion inattendue
qui se présente à lui comme une aubaine. Ainsi ,on peut présenter schématiquement
ce qui se passe comme un triple programme : la guerre des Banyamulenge
pour leur survie, le démantèlement des camps et enfin la victorieuse
marche sur Kinshasa pour y chasser Mobutu.
L’attaque du Zaire- un véritable
géant aux pieds d’argile- par le « petit » Rwanda et l’instrumentalisation-pour
les besoins de la cause- des Banyamulenge fut d’abord une surprise pour
les Zairois , ensuite une humiliation et une offense à l’amour-propre
et à la dignité nationale . Il fallait cependant se débarrasser du dictateur
et au fur et à mesure qu’avancent les troupes de l’AFDL –devenues hétéroclites-
le peuple zairois les accueille en « libérateurs », pourvu que Mobutu
tombe.
L’on ne peut néanmoins omettre
de signaler que les soldats de l ‘AFDL se soient mal comportés au début
de cette guerre(bastonnades, crachats, comportements humiliants et pillages)
comme cela a été dénoncé par plusieurs associations oeuvrant au Congo
. Particulièrement, les soldats de l’AFDL d’ethnie banyamulenge étaient
psychologiquement mal placés devant une population qui, il y a seulement
peu, venait de massacrer leurs parents et avait manifesté ostensiblement
à Uvira et à Bukavu contre la présence tutsie au Congo. Il faut vraiment
déplorer que ces jeunes gens aient manifesté des velléités de vengeance
contre une population zairoise encore sous le choc et peureuse.
Il y a pire. Le comportement
des civils banyamulenge vis-à-vis des autres zairois peut à juste titre
être traité de triomphalisme et de volonté de vengeance-même s’il ne
faut pas généraliser à outrance-. En descendant en masse de leurs plateaux
pour venir occuper –illégalement- les maisons d’autrui à Uvira et à
Bukavu, c’est comme s’ils prenaient leur revanche sur l’histoire et
défiaient ceux qu’ils leur avaient donné un ultimatum pour quitter le
territoire national. Ce fut une erreur grave et un autre rendez-vous
manqué avec l’histoire pour jeter les bases d’une cohabitation durable.
C’était encore le temps de l’ivresse populaire de la part des Banyamulenge.
A cause de leur comportement
triomphaliste –qui n’a pas pris la vraie mesure des frustrations et
de l’humiliation des autres Kivutiens- mais aussi à cause de l’idéologie
ambiante anti-tutsi relayée par le discours de la «
société civile » , les « libérateurs » ne purent échapper à l’appellation
d’ « oppresseurs ».
Dans ce contexte , le mouvement
mai-mai refit surface surtout chez les Babembe – qui avaient payé le
plus lourd tribut, décidés plus que jamais à en découdre avec leurs
ennemis de longue date. C’est donc sur fond d’un vieux conflit que les
deux communautés s’affronteront par groupés armés interposés. En ce
temps-là Kabila s’était entouré de ses anciens compagnons babembe du
maquis de Fizi: Lweca et Sikatende qui ne digéraient guère l’omniprésence
ce des soldats tutsis , et qui, avec le groupe des « Katangais » de
plus en plus nombreux, rêvaient de se débarrasser un jour des Tutsis
et de libérer ainsi Kabila de la mainmise des Tutsis. Leur erreur ,
à leur tour, c’est d’avoir mis tous les Tutsis dans le même panier.
Les soldats s’affrontèrent même en plusieurs endroits(à Kalemie par
ex.) entre soldats banyamulenge et katangais.
Méfiants et instruits par
l’histoire, les militaires banyamulenge n’acceptaient plus l’idée de
les éloigner de leur Kivu natal car ils se disaient menacés et minorisés
à travers les différentes garnisons du pays. C’est le dilemme auquel
ils devaient faire face : comment se dire des nationaux et refuser en
même temps de servir le pays tout entier ? D’autre part, comment s’éloigner
du Kivu ,en abandonnant les parents -pour la protection desquels ils
étaient censés s’être enrôlés- qui étaient devenus la cible privilégiée
et exclusive de la coalition des différentes milices qui n’avaient pas
totalement disparu du Sud-Kivu .
L’APR poursuivait certes
un autre agenda… et un conflit grave venait d’opposer les officiers
rwandais aux Banyamulenge , civils comme militaires. Les Rwandais voulaient
déporter les Banyamulenge vers le Rwanda pour des raisons connues
par les seuls rwandais et ils entendaient les persuader ou utiliser
la manière forte. Ce contentieux a vite fait d’opposer radicalement
les « frères » Rwandais et Banyamulenge qui ne voulaient pas l’entendre
de cette oreille.
C’est dans ce contexte qu’il
faut inscrire la mutinerie de Lemera en février 1998 entre des mutins
banyamulenge qui avaient déserté leur garnison de Bukavu , lourdement
armés pour protester contre les ordres du chef d’Etat –major James Kabarebe
qui voulait les envoyer dans d’autres provinces du pays. Il faut préciser
que des soldats banyamulenge se trouvaient déjà un peu partout au Congo
mais qu’ils entendaient garder quelques bataillons au Kivu prêts à intervenir
en cas d’attaque des mai-mai ou de déportation.
C’est dans ce contexte qu’éclatera
la deuxième guerre – entièrement préparée par le Rwanda, à l’insu des
Tutsis congolais- en utilisant encore une fois comme prétexte les revendications
non satisfaites des Banyamulenge Cette guerre eclate dans un contexte
de tension ethnique au Sud-Kivu exacerbée par trois éléments, à savoir :
le phénomène mai-mai, un cerain discours xénophobe relayé par l’élite
intellectuelle et religieuse de la province et aussi par un comportement
triomphaliste de beaucoup de Banyamulenge. La population congolaise
dans son ensemble a dénoncé cette guerre comme étant une agression étrangère
menée par le Rwanda et l’Uganda, prouvant par là-si besoin en était
encore- les vielles ambitions de créer l’ « empire hima-tutsi » et de
vouloir dominer tous les peuples de la région. Ainsi , les Banyamulenge
qui n’avaient pas pu regagner le Kivu natal –soldats comme civils- furent
massacrés et lynchés par une population qui ne supportait pas que le
Rwanda leur mène cette guerre sous le prétexte que Kabila venait de
« remercier » les soldats alliés.
Les Banyamulenge, surpris
comme tout le monde par cette deuxième guerre qui leur était encore
attribuée, se sont vus trahis , et se sont retrouvés du jour au lendemain
comme entre l’enclume et le marteau.
Ils doivent faire les frais
, d’une part, d’un agenda rwandais dans un contexte régional où ce pays
ne manque pas d’ambitions géo-stratégiques, et d’autre part, ils se
heurtent à des sentiments anti-tutsi de plus en plus croissants de la
part de leurs compatriotes qui les accusent à tort ou à raison de jouer
sur un double clavier et de servir ainsi les intérêts étrangers tout
en réclamant une reconnaissance en bonne et due forme comme « Congolais
à part entière et non
entièrement à part ».
UN
BREF EXPOSE SUR LA SITUATION ACTUELLE
La situation que traverse
notre province du Sud-Kivu, à l’instar de celle que connaissent tous
les territoires libérés ainsi que d’ailleurs le Congo tout entier inquiète
: l’administration du RCD est quasi inexistante ; là où elle existe
, elle ne fonctionne pas comme il se doit ou bien carrément , elle paraît
« extravertie », c’est-à-dire qu’elle sert les intérêts étrangers. Il
nous semble du reste superflu de mentionner que nous ne pouvons ici,
dans le cadre de ce rapport, analyser tous les contours de la situation
que connaissent les populations du Sud-Kivu , livrées à leur triste
sort. Pour ce faire, nous avons choisi de la cerner au travers ces quelques
points qui, nous l’espérons , donneront la mesure de ce que vivent les
gens au quotidien. Nous avons choisi de laisser les témoins directs
s’exprimer eux-mêmes pour plus d’objectivité et pour ouvrir un débat
controversé là où de besoin. Une remarque générale s’impose, à ce stade
: si l’on ne peut nier que ces deux guerres mettent à genoux le peuple
congolais , l’on ne doit jamais masquer que les misères de notre
pays n’ont pas commencé en 1996. Loin s’en faut.
Les deux guerres sont venues porter un coup de grâce à un organisme
longtemps en état comateux.
1 . De la situation
socio-économique
Certains accusent facilement
Kabila de ne s’être pas montré à la hauteur des défis qui l’attendaient
; d’autres pensent au contraire que ses parrains de la première guerre
l’ont vite détourné des taches exigées par la reconstruction du pays
déjà entamées. Semuswa Patient le dit en ces termes : « cette deuxième
guerre a été précipitée parce que l’ensemble de la population n’avait
pas encore eu le temps de palper les méfaits réels du système Kabila
» (2) Quelque soit le langage des uns et des autres, le gâchis était
tellement grand, les défis majeurs que quel que fut le successeur de
Mobutu, il partait dans une situation inconfortable. La reconstruction
du pays exigeait à la fois beaucoup de temps , des moyens étrangers
importants ainsi que des sacrifices et surtout une discipline et un
esprit d’abnégation à toute épreuve de la part des congolais appelés
à gérer la res publica.
Qu’à cela ne tienne, le train
de l’histoire a pris un autre itinéraire. .. Revenons aux conséquences
socio-économiques imposées aux populations de chez nous par cet état
de guerre . Le Kivu est une région à vocation agricole et touristique.
La guerre a affecté notre économie au point que le tourisme au parc
n’est plus pratiqué car les miliciens s’y cachent et y pratiquent le
braconnage ; les régions agricoles sont devenues inaccessibles à cause
de l’insécurité causée par les interahamwe et les mayi-mayi. La zone
de Walikale , grenier de Bukavu pour ce qui est du manioc – aliment
de base des Congolais- est devenu inaccessible car elle est le sanctuaire
des mayi-mayi de Padiri ainsi que des miliciens hutus rwandais. Le marché
de Kiringye qui approvisionnait les Hauts-Plateaux et les villes d’Uvira
et de Bukavu est fermé depuis les massacres de Lemera d’Avril dernier.
Dans les Hauts Plateaux de
Mulenge , le cheptel est en train d’être décimé à petit feu par les
nombreuses razzias des mayi-mayi et des milices burundo-rwandaises.
Mais plus que cela , les
fonctionnaires de l’administration ne perçoivent plus leurs salaires
; et même les primes de 3 dollars US par mois ne leur parviennent qu’au
compte-goutte. Ecoutons Jean-Scohier Muhamiriza : « Voilà quatre ans
qu’on nous parle de libération et que c’est de la misère noire qu’il
s’agit plutôt. L’administration ne profite qu’aux responsables du RCD.
Les taxes sont payées mais les salaires ne viennent pas, les routes
ne sont pas réfectionnées, même pas le tronçon qui mène chez le gouverneur.
Il y a multiplication des taxes et des impôts sans rétrocession à la
population. »(3).
Il est une question qui a
fait l’unanimité de tous les enquêtés : le RCD n’existe que de nom et
ne sert que les intérêts étrangers. C’est l’avis du Professeur Mugangu
Séverin qui dit sans ambages ceci : devant la clochardisation de la
population , « ceux qui appuient le RCD n’ont plus d’argument parce
que le RCD lui-même se présente comme une copie grossière du système
qu’il est en train de combattre. Le RCD, autant que Kabila , n’a pas
de programme politique, il est miné par le clientélisme, il, connaît
la guerre de positionnement , il n’arrive pas à faire fonctionner correctement
l’appareil administratif , à sécuriser population et à la payer. »(4).
Beaucoup d’observateurs avisés
reconnaissent qu’au Sud-Kivu comme ailleurs dans le pays , la population
tient le coup grâce au système informel et au dynamisme d’une
nation longtemps abandonnée à elle-même ; Depuis longtemps l’Etat ne
payant plus , ce sont les importateurs qui font vivre la population
grâce au jeu de la solidarité familiale et clanique et par les ponctions
que l’administration fait peser sur eux . Ainsi l’argent des uns ruisselle
dans la société tout entière et tout le monde en bénéficie . Or, il
se fait que . les gens sont de moins en moins solvables , l’argent difficile
à trouver, le commerce des matières premières et des métaux de plus
en plus difficile. Il y a en plus un phénomène inquiétant : les opérateurs
économiques se plaignent parce que les autorités se sont elles-mêmes
intéressées à ce traffic et tendent à monopoliser ; tout en continuant
à exercer sur les sociétés locales un harcèlement fiscal tout azimuts.
« Ce système des taxes est ancien note encore le Professeur ; il a été
repris par les différents pouvoirs qui se sont succédés. Ce qui est
étonnant, c’est qu’il est de plus en plus présenté comme un devoir sans
contrepartie . On vient même d’instaurer une nouvelle taxe appelée «
péage route » que les habitants de la ville ont baptisée : « pillage
route ». Contrairement aux règles de la comptabilité publique, on ne
sait pas à quoi on va affecter cet argent . Paye-t -on plus ou moins
par rapport aux travaux à effectuer ou par rapport à l’état des besoins
des autorités ? A ce sujet, les choses n’ont pas évolué : on reste obscur,
empiriste, et même , à la limite amateuriste. »(5)
Certains de nos témoins qui
ont requis l’anonymat sont allés jusqu’à nous dire que la famille du
gouverneur Katintima possède une compagnie aérienne , de même que le
1er Vice-Président du RCD Ondekane( de connivence
avec l’officier rwandais James Kabarebe.
Amer, Maxime Kalehezo nous
a confié ceci : « Où allons-nous ? Dans les territoires dits libérés
la situation de misère va empirant ; le RCD contrôle un territoire qu’il
ne sait pas gérer. La population n’a plus confiance en ce mouvement
car aucune réforme sociale ou économique adaptée n’est venue accompagner
sa révolution. Les seules personnes qui se tirent encore l’épingle du
jeu sont les politiciens du RCD qui se servent copieusement pendant
que 90% de la population n’a littéralement rien » (6).
Avec les Accords de Paix
de Lusaka, l’espoir des populations était revenu, mais on n’a pas tardé
à déchanter car les signatures n’ont pas été suivies d’effets . Ecoutons
à ce sujet deux personnes bien situées pour nous en parler : « La situation
d’après Lusaka est pire que celle d’avant . Il y a perturbation de la
vie sociale, surtaxation des marchandises à l’entrée comme à la sortie
; les structures économiques ont fait défaut à cause de trop de taxes
. Une même marchandise qui quitte Butembo pour Goma doit être déclarée
et taxée deux fois : à Butembo comme à son arrivée à l’OFIDA à Goma
Cela décourage les hommes d’affaires. En plus, chaque département opère
son propre recouvrement auprès des contribuables. La classe politique
du RCD est prédatrice...Les écoles fonctionnent grâce aux efforts des
parents , eux-mêmes démunis . Notre système sanitaire lui-même fonctionne
grâce à l’OMS, UNICEF, CICR, HCR... »(7).
Cette situation fait regretter
à certains les « oignons d’Egypte » et ils ne sont pas rares ceux qui
pensent que nous vivons là une situation pire que toutes celles que
nous avons connues, dans l’indifférence totale du RCD et de ses alliés.
Les gens vont jusqu’à s’interroger pour savoir si la misère que connaît
la population congolaise n’est pas une arme politique parmi tant d’autres
pour s’assujettir le peuple qui sera ainsi corvéable à merci le moment
venu. On ne peut s’empêcher de le penser quant on voit la course à l’enrichissement
et le monopole que les Alliés du RCD ont fait peser sur le commerce
du coltan(colombo-tantalite) qui traverse au Rwanda chaque jour par
milliers de fûts à partir du territoire national au vu et au su de la
population , sans aucune mesure pour soulager un tant soit peu la population
congolaise qui effectue chaque jour une descente aux enfers. Nous aurons
le loisir d’en parler plus aisément au point suivant, mais déjà nous
pouvons nous permettre de l’évoquer ici. Cet état des choses, pensent
des étudiants de l’UCB, a quelque chose à voir avec les projets intimes
du Rwanda : « le RCD est téléguidé à partir du Rwanda car ce pays ne
manque pas d’ambitions territoriales sur le Kivu . Voyez , partout où
se trouvent les interahamwe on y trouve également des soldats de l’APR
qui ne les combattent pas car les raisons pour lesquelles l’APR est
ici sont d’abord économiques et politiques par ricochet. Or, s’il n
‘y a plus des interahamwe au Congo , de quel prétexte se servirait Kagame
pour envoyer ses troupes ici chez nous ? »(8).
2
Comment les Congolais perçoivent-ils cette guerre ?
Il ne fait l’ombre d’aucun
doute. Les Congolais , dans leur grande majorité pensent et clament
tout haut que cette guerre ne répond pas d’abord aux impératifs de sécurité
pour le Rwanda et l’Uganda. Si certains –pas très nombreux- pensent
que les pays précités ont des réels besoins de sécurité à leurs frontières
et que le Congo de Mobutu comme de Kabila a constitué un sanctuaire
pour abriter les « forces négatives, la majorité de nos enquêtés trouvent
que les motifs avancés par ces pays – surtout le Rwanda – ne convainquent
pas. Et pour cause. Le régime rwandais en particulier a soutenu que
son armée était au Congo pour traquer les Interahamwe et les ex-FAR.
Or, font noter certains Congolais, les troupes de l’APR se trouvent
au Congo depuis octobre1996 et avaient toute la situation en leurs mains.
Pourquoi donc n’ont-elles pas résolu la question de leurs ennemis alors
qu’ils en avaient tout le loisir et tous les moyens ? Tshilumba Frédéric
le dit en ces mots : « Une question se pose : Le Rwanda est ici depuis
la première guerre à côté des miliciens interahamwe et des ex-FAR. Pourquoi
ne les a-t-il pas délogés alors que ce ne sont pas les moyens qui lui
faisaient défaut ? C’est un prétexte. Après tout, le temps que le régime
incriminé a passé au pouvoir ne pouvait pas lui permettre de tout faire.
Pourquoi n’a-t-on pas élaboré des stratégies ensemble pour en finir
avec cette question de la sécurité du Rwanda ? Non , le Rwanda veut
perpétuer la guerre au Congo pour se donner du temps suffisant afin
de bien exploiter les richesses du Congo. Et puis , ce n’est plus un
secret pour personne : le Rwanda a réclamé Berlin II ; c’est qu’il a
des ambitions expansionnistes sur une partie de notre territoire. »
(9) Le deuxième argument avancé par Kigali pour justifier la présence
des troupes de l’APR au Congo c’est d’empêcher que le régime de Kabila
continue à massacrer les populations congolaises de souche tutsie .
Or on fait remarquer également à ce sujet que les massacres des Tutsis
Congolais et autres Tutsis qui se trouvaient encore au Congo en 1998
ont eu lieu après que le Congo eut été attaqué par les troupes de l’APR.
Ces massacres sont dont l’effet de l’attaque du Congo par l’APR et non
sa cause. Un Munyamulenge enquêté pense également que cet argument des
rwandaises est une contre-vérité : « Comment est-ce que nos frères du
Rwanda peuvent-ils dire qu’ils sont ici pour empêcher que nous soyons
exterminés au moment où ils se sont retirés de Kinshasa en y laissant
quelques soldats banyamulenge sans moyens et en nombre insuffisants
qui ont été ensuite massacrés comme des mouches par les hommes de Kabila
sur ordre de celui-ci . Il n’y a pas qu’à Kinshasa seulement où des
Banyamulenge ont péri en août 98 James avait dispersé nos soldats à
travers tout le pays sans tenir compte des sentiments d’animosité dont
ils été l’objet parce que Tutsis mais aussi parce que « frères » des
Rwandais considérés comme des nouveaux colons. Ensuite que fait le Rwanda
pour nous protéger aujourd’hui des milices qui sont en train de nous
massacrer aujourd’hui ? »(10) Entre les points de vue du régime rwandais
et ceux des populations congolaises , il y en a qui pensent que les
Alliés du RCD avaient des raisons sérieuses de s’inquiéter pour leur
sécurité car Kabila non seulement ne leur avait donné des garanties
, mais aussi avait déjà commencé des contacts avec les extrémistes hutus
( avant août 98) mais que malgré cela on ne saurait justifier l’occupation
du Congo par les troupes des pays étrangers , ni le pillage systématique
des ressources naturelles du Congo , encore moins des visées territoriales
que nourrirait le Rwanda en particulier sur le Kivu. Un témoin qui a
requis l’anonymat pense plutôt ceci : « La cause de la deuxième guerre
est à chercher dans le fait que Kabila n’a pas voulu honorer les engagements
financiers de sa guerre contre Mobutu . On l’amène à payer la facture
au lieu d’attendre d’être payé par le pouvoir qui sera mis en place
après lui. Il faut tout de même se demander : qui finance cette guerre
, et , à quelles conditions ? » (11). Nous nous sommes approchés du
Bureau de la Société civile du Sud-Kivu pour savoir ce qu’il en pensait
. Au cours d’un long entretien voilà ce qu’il noua , entre autres confié
: « Cette guerre n’a été ni conçue, ni préparée ,ni menée par la population
du Sud-Kivu. Toutes ces deux guerres ont été importées . Pourquoi ?
C’est la guerre de Kagame et de son lobby tutsi. Les médias ont présenté
la première guerre comme celle des Banyamulenge avec qui nous avons
tout partagé . Les Banyamulenge n’ont jamais contredit suffisamment
les allégations des médias . Dans notre document d’avril 98, nous avons
cité Muller Ruhimbika qui avait dit que la guerre de libération était
terminée que commençait maintenant une guerre d’occupation. Nous avons
confectionné un document intitulé Menace d’une agression étrangère
où nous avons réfléchi sur la situation. Nous avons compris une chose
: la guerre n’allait venir ni de Bijombo ni de Minembwe. Nous avons
attendu que Muller se dédise et il ne l’a pas encore fait. La guerre
a eu lieu, importée des frontières de Cyangugu .Les Banyamulenge ont
gardé le silence alors que cette guerre leur était encore une fois attribuée.
A dire vrai le début de la guerre est à situer à partir du moment où
certains membres de la communauté Banyamulenge ont donné leur contribution
à la révolution du FPR . Les Tutsis du Rwanda, à cause des affinités
avec les Banyamulenge, ont piégé ces derniers . »( 12).
Le fait que le territoire
national soit découpé en différentes zones d’influence rwandaise, ougandaise
ou burundaise ne rassure pas beaucoup les Congolais et présage des lendemains
incertains quant à la forme de l’Etat. Or, on ne peut aujourd’hui nier
qu’à part des sentiments anti-tutsi très prononcés , les Congolais dans
leur grand ensemble ont fini par acquérir le sentiment d’appartenir
à une même nation et souhaitent rester tous dans un même Congo , uni
et fort. C’est ce que nous ont répété les membres dudit Bureau : « Nous
voulons un Congo uni et fort. Ce qui ne contredit pas la fédération
. Nous sommes contre le morcellement et la partition de notre pays .
»(13).
Continuant leur réflexion
sur les raisons invoquées par les Alliés du RCD pour justifier leur
présence au Congo, nos interlocuteurs ont renchéri : « Les raisons avancées
par le Rwanda et l’Uganda vis-à-vis de la communauté internationale
sont légitime surtout pour un pays qui, comme le Rwanda vient de connaître
le génocide, cette question est très sensible Tout le monde comprendra
et financera . Mais les faits sont là pour prouver le contraire. Les
interahamwe qui sont à 50 kilomètres d’ici arrêtent des véhicules pour
dévaliser la population chaque jour ; ils ont définitivement obstrué
l’axe Kamanyola-Bukavu via Nyangezi . Pendant ce temps l’APR se trouve
à 1000 kms du lieu où les interahamwe sont en train de faire la fête
. Les Rwandais convoitent les mines plus qu’ils ne veulent chasser les
miliciens Du reste, tant que les interahamwe sont à Mbujimayi , menacent-ils
directement Cyangugu et Ruhengeri ? Lorsque nous voyons des avions exploiter
les mines de la SOMINKI vers le Rwanda , nous demandons à Lunda Bululu
s’il voit ce pillage économique , il nous répond que c’est la guerre,
que les Libanais prenaient aussi des diamants . Mais , les libanais
payaient au moins les frais d’exploitation De Kalima à Kigali où paye-t-on
les frais de la douane ? Voyez, tant que Mbujimayi ne tombe pas , la
rébellion fait une querelle de distraction . Les Magasins Généraux du
Rwanda sont pleins à craquer du coltan pillé au Congo . Où sont encore
les problèmes de sécurité dans tout ça ? On a même interdit aux Congolais
d’exploiter du coltan dans leur propre pays pour donner priorité aux
Alliés du RCD »(14)
Mukahigiro Rose pense , quant
à elle que derrière les revendications légitimes des Congolais se cachent
mal des sentiments xénophobes anti-tutsi . Pour elle : « de moins en
moins on voit des soldats rwandais se promener ici en ville comme au
début de la guerre . Ils vont plutôt loin sur le front ? Ceux qui patrouillent
ici sont disciplinés et ne dérangent personne ; c’est d’ailleurs grâce
à eux qu’il y a encore un peu de sécurité ici. Mais il est tout simplement
difficile d’être Tutsi au Congo . Militaire ou pas militaire, la population
congolaise(surtout du Kivu) aurait souhaité ne plus voir les Tutsis
au Congo . Cela d’ailleurs, comme vous le savez, ne date pas d’aujourd’hui.
» (15).
Au Sud-Kivu, peut-être avec
un accent particulier , dans cette Afrique des « identités meurtrières
», nos sociétés sont encore érigées sur la structure de l’ethnie. Or,
l’entrée dans la modernité nous impose de nous insérer dans une structure
beaucoup plus grande qu’est la structure étatique. C’est dans l’Etat
qu’il nous faut inscrire nos ambitions « nationalistes » au lieu de
nous réfugier derrière des notions xénophobes , continuellement nourries
par la tradition orale qui vient à chaque fois exhumer un passé où les
différents royaumes de la région des Grands Lacs se sont mutuellement
livré des guerres de conquête et d’hégémonie. En témoignent ces deux
proverbes shi qui cristallisent la méfiance envers l’autre, l’étranger,
le Tutsi : 1. Owashura abadusi , arhalondora (= celui qui veut frapper
un Tutsi n’a pas à trier) pour signifier par là qu’ils sont tous pareils,
mauvais. 2. Eyonera Omushi(omuhanya) e Rwanda ehubuka (= à l’occasion
d’une mauvaise transaction, lorsque tu achètes une vache qui dépérit
le lendemain de l’acquisition, c’est qu’elle est venue du Rwanda) Signifiant
que du Rwanda ne peut venir que quelquechose de mauvais.
En effet, selon le Professeur
Séverin (lui-même Shi) , « historiquement et physiquement les Bashi
sont très proches du Rwanda ; c’est une histoire faite de guerres et
d’alliances de toute sorte. ; chacun s’eest fait l’idée de l’autre .
Ces deux statements nous permettent d’analyser l’imaginaire du peuple
Mushi par rapport aux babembe(entendez par là étrangers) et aux Batutsi
en particulier . Par rapport aux Tutsis, notre imaginaire collectif
est marqué. Historiquement le Rwanda a eu un monarque(RWABUGIRI) qui
a eu des ambitions territoriales sur le Bushi ; il n’a pas réussi dans
sa tentative d’assassiner LIRANGWE bien que bénéficiant de la complicité
de la reine MUGENYE , mwamikazi de Ngweshe du clan des Bega ( qu’on
retrouve aussi au Rwanda). RWABUGIRI n’a pas réussi, disais-je , mais
l’histoire a noté ce fait. L’imaginaire shi et l’historiographie récente
sur le Bushi ont continué à entretenir le discours sur ces relations
conflictuelles Shi-Tutsi . » (16).
Sur ce fond-là , il devient
facile , pour les gardiens et propagateurs de l’idéologie et de la fierté
shi( constitués pour l’essentiel du clergé shi à la suite de feu monseigneur
Munzihirwa) d’interpréter la guerre de Kabila et du RCD comme s’inscrivant
dans une dynamique de domination des peuples « bantous » de la région
par les Tutsis. C’est d’ailleurs dans la continuité de cette lecture
de l’idéologie du Tutsi expansionniste que s’inscrit la position actuelle
de l’église catholique à Bukavu. Ainsi , le RCD est rejeté non pas seulement
ni d’abord parce qu’il accuse des failles réelles, mais aussi et surtout
parce qu’on croit qu’il participe de cette logique-là de colonisation
tutsie.
3.De la situation sécuritaire
au Sud-Kivu.
L’état de la sécurité des
biens et des personnes présente une physionomie différente selon les
milieux. D’entrée de jeu , il sied de faire remarquer que si certains
coins sont plus touchés que d’autres, toute la province du Sud-Kivu
connaît de graves problèmes de sécurité. Les informations( les unes
plus alarmantes que les autres) circulent à travers les médias internationaux
sur l’insécurité que connaît la province, mais elles revêtent souvent
un cachet partiel et une tendance délibérément partisane , selon les
sources d’information sur terrain. Dans un contexte de « dualisation
»ou de « bipôlarisation » de la société , les uns préféreront fustiger,
voire diaboliser les forces du RCD( que l’on a tendance à confondre
purement et simplement avec les Banyamulenge ou les Batutsi dans leur
globalité) ainsi que les forces alliées, pendant que d’autres n’alertent
la communauté internationale que pour prévenir contre une éventuelle
extermination des Tutsis du Sud-Kivu. Chacun des deux camps agit comme
si sa propre sécurité était incompatible avec la sécurité de l’autre.
Nous condamnons
cette attitude qui pèche par manque de générosité , par irresponsabilité,
par cécité intellectuelle et partant par manque de vision nationale
et régionale. Tout le monde, au Sud-Kivu ,est en train de faire les
frais des mauvais choix des politico-militaires de la région , et, aucune
contrée, aucun groupe humain ne se trouve à l’abri des abus contre les
droits de la personne humaine dont le premier reste le droit à la vie.
Faut-il le rappeler ? En situation de guerre ,il n’y a ni ange ni démon.
Ceci , nous ne l’affirmons ni par simple souci de commodité , ni par
envie de faire l’équilibre entre les blocs en présence , mais plutôt
par souci de vérité et d’objectivité, comme les témoignages recueillis
vont le démontrer.
Certes, nous
ne nous leurrons pas. De fausses informations , des exagérations et
des interprétations tendancieuses ont déjà parcouru le monde entier
, si bien qu’il devient aujourd’hui difficile de corriger l’erreur et
de présenter des informations qui rendent réellement compte de la situation
qui prévaut au Sud-Kivu. On ne devrait à aucun instant perdre de vue
que la vérité est à chercher au milieu des déclarations des forces en
présence et que la guerre des communiqués a toujours constitué une arme
dont les plus habiles à la manier peuvent se faire passer pour des enfants
de choeur là où sont littéralement violés les droits fondamentaux de
la personne humaine.
Quoi qu’il
en soit, la guerre elle-même constitue la première des violations des
droits de l’homme car , outre qu’elle occasionne plusieurs morts des
vies innocentes, elle entraîne avec elle tout un cortège d’abus contre
la personne humaine sous plusieurs formes : les gens vivent dans une
situation de peur et d’incertitude constantes ; la plupart des infrastructures
sont détruites et les chances de cohabitation pacifique entre protagonistes
d’aujourd’hui relèvent des conjectures car la guerre des canons est
souvent précédée et suivie par la véritable guerre, c’est -à- dire ,
la haine , la guerre des coeurs ; il ne paraît pas si aisé de panser
les plaies par trop béantes.
Au Sud-Kivu
, nous l’avons déjà dit, nous sommes en présence de deux camps qui s’affrontent
à coups de canons, de machettes mais aussi au travers des informations
contradictoires , voire biaisées et tendancieuses par moment, selon
les sources d’information tant et si bien qu’il devient difficile de
se faire une vraie idée sur la situation que vivent les gens . Malheureusement
, il devient de plus en plus facile –même pour les milieux censés défendre
les droits de la personne humaine- de ne faire cas que des violations
commises contre l’un des deux camps en omettant délibérément de dire
ne fût-ce qu’un mot sur les mêmes violations commises contre l’autre
camp sous le prétexte fallacieux de complicité avec les forces d’occupation.
Dans cette
optique, des massacres à grande ou à petite échelle ont été commis et
médiatisés mais il restera toujours deux questions sans réponse : combien
y a –t- il eu de morts et qui en est responsable ? Nous avons essayé
d’approcher les tenants des deux tendances pour être édifié sur ce qui
s’est effectivement passé Nous allons livrer ici le fruit de nos investigations
en essayant de décrire d’abord le contexte des massacres avant de répondre
aux deux questions. Après notre interprétation des massacres déjà connus,
nous dirons un mot des massacres dont personne n’a parlé , qui pourtant
se commettent au grand jour et qui continuent d’empoisonner une situation
déjà infestée.
a.
Des grands massacres déjà connus
Dès le début
de ce double conflit sanglant les forces de l’AFDL(comme les ex - FAZ)
ainsi que les rebelles du RCD( de même que les forces de Kabila) sans
oublier les forces alliées ont commis beaucoup d’abus dont des massacres
, les uns plus horribles que les autres dont il serait fastidieux de
reprendre la liste dans le cadre de ce rapport. Ce qu’il nous faut pour
le moment ,c’est d’arrêter pour un petit moment les projectiles sur
les massacres communément et régulièrement imputables aux soldats banyamulenge
durant cette deuxième guerre à savoir , les massacres de Kasika, Makobola
et Katogota( la liste n’est pas exhaustive) .
1.KASIKA
: nous sommes en août 1998, à la surprise de tout le monde une deuxième
guerre (une deuxième fois imputable aux Banyamulenge mécontents de Kabila)vient
d’éclater. La plupart des troupes de l’APR se sont retirées des provinces
de l’intérieur du vaste Congo ; les militaires congolais- dont des milliers
des Banyamulenge- apprennent par la voix des ondes que dans les villes
de Goma, Bukavu et Uvira il y a guerre . A Kinshasa le même soir les
quelques soldats banyamulenge ainsi que quelques militaires de l’APR
doivent tenter de tenir tête à l’armée de Kabila mais seront purement
écrasés à part quelques rescapés qui traverseront pour Brazzaville ou
gagneront le Bas-Congo où un nouveau front s’est ouvert entretemps.
A travers tout le pays les soldats banyamulenge sont pris à partie par
leurs compagnons d’armes qui ne comprennent pas que ces mêmes Banyamulenge
leur imposent encore une autre guerre dont ils ne voient pas les raisons.
Ici il faut signaler, à toutes fins utiles que contrairement à Mobutu,
Kabila donne régulièrement la solde à ses militaires(chacun perçoit
100 dollars US par mois, ce qui n’est pas négligeable dans ce pays).
Des soldats banyamulenge se trouvant à Kindu se trouvent dans le même
contexte , attendant les renforts promis par le Colonel James Kabarebe
. Les renforts tardant à venir, ils ne peuvent tenir pour plus longtemps
encore et décident alors de prendre le chemin du Sud-Kivu natal. Certains
parmi eux ont des femmes et des enfants . Ils réquisitionnent des véhicules
pour cet effet. Arrivés à Kasika( à quelques dizaines de kilomètres
seulement de Bukavu , ils ne se doutent de rien , eux qui viennent de
la grande épreuve sains et saufs. C’est pourtant là que le pire les
attend. Ils ont été logés et nourris dans ce village des Banyindu (
dont ils connaissent la langue pour la plupart) Au moment de partir,
par imprudence six officiers se mettent ensemble dans leur véhicule
land-rover et tombent dans un guet-apens qui les massacre tous. Leur
escorte restée nonchalamment derrière faire la triste découverte trop
tard . Commencent des tirs nourris entre ces soldats avec les assassins
qu’on appelle des mayi-mayi qui étaient en train de vouloir s’emparer
des cadavres( pour les dévaliser probablement). Les mayi-mayi fuient
vers le village où ils sont cachés par la population. A leur poursuite
, les militaires agités et surexcités ne peuvent se maîtriser. Ils se
déchaînent sur une population qui n’est pas partie prenante au conflit
mais dont ils soupçonnent des une collusion et une complicité avec les
mayi-mayi. Ces soldats ont trouvé certains mayi-mayi en train de manger
le plus naturellement du monde pendant que d’autres recevaient des soins
au centre de santé de la paroisse. Ils ne choisissent pas leurs cibles
, se déchaînent sur enfants, femmes, personnes âgées et invalides .
Ils tuent aussi l’abbé Wabulakombe Stanislas, un séminariste, des religieuses
ainsi que le mwami(chef coutumier) Mubeza. Selon un certain Itongwa
Janvier, ( ( originaire de Kasika, travaillant pour l’association Paix
Pour les Grands Lacs, PPGL, interrogé à Bukavu le 1er
septembre de cette année)originaire de Kasika, il n’est pas exclu que
des rivaux politiques du chef coutumier Mubeza aient voulu lui attirer
la foudre de ces soldats banyamulenge dont on savait calculer à l’avance
les réactions en cas de provocation par les mayi-mayi.
2.MAKOBOLA
: nous sommes fin décembre 98 et début janvier 99. A 25 kms au sud de
la ville d’Uvira des mayi-mayi mêles aux rebelles burundais venus de
la Tanzanie investissent la cité côtière de Makobola , au bord du lac
Tanganyika. Ils réussissent à prendre position du camp militaire dont
ils ont chassés les quelques soldats qui ont essayé désespérément de
tenir tête à des assaillants qui se sont mêlés à la population. Dans
leur repli vers Uvira, ils demandent des renforts à Uvira . C’est alors
que le commandant de brigade (originaire la Province Orientale) secondé
par un commandant munyamulenge décident d’y envoyer des renforts. Le
commandant de l’APR présent à Uvira se joint à eux pour repousser cet
ennemi décidé à marcher sur Uvira. Des renforts arrivent à Makobola
où ils combattent durant trois jours( le 30, 31 et 1er
janvier) Selon le commandant Bolingo que nous avons contacté, les assaillants
faisaient un avec une population qu’ils avaient du reste droguée. Selon
lui , il était impossible de distinguer.
3. KATOGOTA
: une compagnie des soldats quitte Lubarika pour aller faire face aux
mayi-mayi qui ont attaqué et tué des civils banyamulenge à Lemera. Leur
commandant (Olivier ) est tué sur ce champ de bataille. Il est remplacé
par son second qui sera tué à Katogota par des mayi-mayi alors qu’il
se rendait à Bwegera. Son successeur , un certain Rugazura sera également
tué par les mayi-mayi qui surgissent au niveau de ce même village de
Katogota et l’assassinent alors qu’il se trouvait à bord d’un véhicule(
apparemment avec la complicité du chauffeur) C’est alors que informée
de cette troisième mort de leur commandant en l’espace de seulement
deux semaines et toujours au même endroit pour les deux derniers, sa
compagnie (comme pour Kasika), quitte Lubarika et rase ce village où
ils prétendent trouver l’ennemi. Là aussi la population civile au départ
non engagée dans les combats entre soldats et mayi-mayi paie un lourd
tribut pour cause de complicité supposée ou réelle.
Combien
y a – t – il eu de personnes tuées ?
Lors de nos
enquêtes, il nous a été malheureusement impossible de pouvoir répondre
comme nous l’aurions souhaité. Ce qui est vite apparu , c’est que à
Kasika il est mort des centaines de civils innocents. Personne ne nous
dira exactement le nombre des tués . Nous proposons même la prudence
sinon la méfiance quant aux estimations des uns et des autres. La vérité
est que plusieurs centaines ou une centaine- voire des dizaines ou quelques
unités – il y a eu massacre des vies humaines innocentes. A Makobola
certainement qu’il est mort des centaines car les combats ont duré trois
jours . Une source d’information , en l’occurrence la Caritas du diocèse
d’Uvira parle de 123. Un soldat du RCD contacté et qui a gardé l’anonymat
nous a dit que beaucoup de traces avaient été soigneusement effacées
et qu’il faut compter par centaines les personnes mortes que lui refuse
de qualifier de population civile innocente car sérieusement engagée
sur le champ de bataille. Quant AU massacre de Katogota, selon toujours
le même commandant, c’est par plusieurs dizaines qu’il faut évaluer
le nombre de civils tués. Ici , il reconnaît que des innocents ont trouvé
la mort dans les circonstances décrites plus haut.
Qui
en est responsable ? ?
Dans le contexte
de chez nous , il devient vraiment difficile de dire la même chose sur
la même situation. Beaucoup d’associations oeuvrant au Sud-Kivu ont
pointé du doigt les soldats banyamulenge et certains sont allés même
jusqu’à parler des Banyamulenge tout court comme si ces massacres participaient
de tout un plan de massacrer les populations congolaises « bantoues
». A la lumière de ce que nous avons dit plus haut il n’est plus difficile
de stigmatiser les stéréotypes , les clichés, les globalisations dont
se rendent facilement coupables même des gens censés être au-dessus
des sentiments partisans et qui font que la responsabilité individuelle
(pénale ou civile) est facilement occultée au profit d’une responsabilité
du groupe. Cela a tendance à se dire à chaque fois qu’il s’agit des
actes imputables à des soldats banyamulenge. C’est ce que monsieur Ruberangabo
Enoch me disait en ces termes : « hier un soldat du RCD, originaire
du Kassai a tué deux personnes ici à Bukavu , dont le fils du richard
Nyamulinduka. Ecoutez ce que l’on dit ; on ne parle pas de soldats baluba
encore moins des Baluba tout court. Mais si c’était un militaire munyamulenge
qui l’avait fait on imputerait son acte à tous les soldats banyamulenge
, voire à toute la communauté des Banyamulenge et on dirait : les Banyamulenge
sont des criminels. Lorsque Bizima Karaha ou Nyarugabo fait une déclaration
, facilement on l’impute aux Banyamulenge, mais lorsque c’est Mudumbi
ou Ilunga , on ne dira pas : les Bashi ou les Balubakat ont dit ceci
ou cela. Les Banyamulenge constituent un groupe à part , en marge de
la société en face de tous les autres formant un seul bloc contre nous
»(17).
Quoi qu’il
en soit, globalement tous ces massacres nous semblent être imputables
au mouvement RCD, au service duquel les commandants qui ont donné l’ordre
de tuer les civils appartiennent. Car, nous semble – t –il les Banyamulenge,
pas plus que les Babembe ou Bashi, n’ont pas d’armée propre à eux .
Ce qu’ils ont ce sont des guerriers pour leur auto-défense ( que d'aucuns
appellent tout simplement « milices banyamulenge » que nous –même sommes
tenté de considérer comme telles) à l’instar des milices mayi-mayi.
Or, ici , ce ne sont pas ces milices banyamulenge qui sont mis en cause
– même si pèsent sur eux aussi pas mal de violations des droits de l’homme
notamment des razzias des troupeaux des Bafuliru- mais il s’agit bel
et bien des soldats régulièrement enrôlés dans les rangs du RCD.
En aucun
cas donc ces actes condamnables ne peuvent être attribués à tous les
soldats banyamulenge –car parmi eux on trouve aussi des militaires bien
disciplinés et responsables- encore moins à toute la communauté banyamulenge
ou à l’ethnie tutsie dont ils font partie. Laissons s’exprimer à ce
propos deux des commandants du RCD, banyamulenge de souche : « Les soldats
banyamulenge n’existent pas car les Banyamulenge n’ont pas d’armée propre
à eux . Nous avons l’Armée Nationale Congolaise qui a son Etat-major
qui n’est pas dirigé par un Munyamulenge ? A part la 9ième
brigade qui se trouve à Uvira pour protéger une population plus menacée
que les autres où les soldats banyamulenge sont majoritaires et occupent
des postes de responsabilité, nulle part ailleurs nous n’occupons de
postes de responsabilité au sein de l’ANC Les soldats banyamulenge se
trouvent aujourd’hui éparpillés chez Ilunga , Wamba et Bemba sous les
ordres de leurs chefs d’Etat –major respectifs. Voilà la vérité. »(18).
Aussi complexe
que cela paraisse , voilà ce que HK ajoute à tout ce qui a déjà été
dit.
b.
Des massacres et tueries sélectives dont on ne parle presque pas.
Inutile de
le répéter . A la lumière de ce que nous avons dit plus haut, les Banyamulenge
sont actuellement en train de payer la facture de leur implication dans
ces deux guerres . Population longtemps marginalisée, ils sont entrés
dans l’histoire par la grande porte du premier train en 1996, à la surprise
générale de tout le monde ; et les voilà aujourd’hui enfermés dans ce
même train dont la porte risque de ne plus s’ouvrir pour eux. Accusés
d’avoir ourdi un complot contre leur propre pays en prêtant main forte
au pouvoir dit tutsi de Kigali, les Banyamulenge se trouvent aujourd’hui
rendus responsables de tous les péchés d’Israel. Supposés complices
dans le prétendu projet d’installation de l’empire hima-tutsi, ils ne
peuvent échapper à la méfiance , voire à la haine de plus en plus croissante
des autres tribus du Sud-Kivu avec lesquelles les relations n’étaient
déjà guère brillantes. S’ils sont particulièrement visés c’est en raison
de leur continuelle revendication d’être reconnu dès à présent et sans
équivoque comme citoyens congolais (leurs interlocuteurs leur répondent
évasivement sur cette question que : « nous verrons », « c’est à étudier
au prochain parlement » ou carrément que : « vous ne serez jamais reconnus
comme Congolais ») mais aussi ils sont aujourd’hui la cible de toutes
les milices présentes au Sud-Kivu parce qu’ils sont les plus faibles.
Ecoutons encore une fois le professeur Séverin Mugangu : « une certaine
opinion les présente comme complices des troupes étrangères qui ont
comme ambition de subjuguer les Congolais. Par conséquent , les « résistants
» congolais lorsqu’ils veulent frapper dans les rangs de leurs ennemis,
ils frappent ceux qui sont les plus vulnérables, à leur portée , c’est–à–dire
les civils banyamulenge. »(19) Les problèmes causés par l’insécurité
au Sud-Kivu c’est comme l’histoire de la poule et de l’oeuf. C’est ce
que continue de nous dire notre témoin : « Les mayi-mayi ont bloqué
la route d’Uvira-Bukavu en procédant à des tueries sélectives des civils
banyamulenge. Il va de soi qu’à chaque fois que les leurs sont ainsi
tués , les soldats banyamulenge réagissent disproportionnellement. Alors
courent des bruits que les Banyamulenge ont tué les Bafuliru, les Bavira,
Bashi ou Babembe . Cela pousse davantage les jeunes de ces tribus à
entrer en masse dans le mouvement mayi-mayi. » (20) .
Dans ce contexte,
depuis des mois des tueries sélectives ainsi que des massacres des populations
civiles banyamulenge sont perpétrés dans la Plaine de la Ruzizi et sur
les Hauts Plateaux de Mulenge sans que personne en fasse suffisamment
écho dans ce Sud-Kivu où la Société Civile compte autour de 1200associations.
Ces massacres sont loin de s’arrêter ; au contraire les populations
civiles banyamulenge craignent de plus en plus le pire et disent que
jamais de leur histoire ils n’ont été si près de l’extermination.
Malheureusement
ni le RCD, ni l’autorité civile n’a une stratégie pour éradiquer cette
spirale de violences avec les perspectives dangereuses qu’elle annonce.
Loin s’en faut. D’ailleurs fait remarquer encore le doyen de la faculté
de droit : « L’élite intellectuelle et religieuse devient partie prenante
à cette dynamique de conflit et diffuse des discours qui tendent à cristalliser
des oppositions et finalement à faire durer le cycle des violences.
»(21).
Qu’il nous
suffise ici d’inventorier , à la volée des massacres dont ont été victimes
des populations civiles banyamulenge depuis le mois de février de cette
année
1.Mumazi
: 29 février, 1 personne tuée
2.Masango
: 11 mars1 tué et 1 blessé
3..Mumazi
: 29 mars, 2 tués
4Gashigo
: 5 tués, 5 otages, 3blessés et trois villages incendiés
5.Bijombo
:29 mars , 2 morts, 2 blessés
6. Miko :
10 avril, ? 2 morts, 3 blessés
7 Gateja
: 12 avril : tout le village incendié
8.Tabunde,
17 avril, 2 tués
9 Gipombo
: 18 avril, 3 tués
10. Gakenke
: , 27 avril, 8 personnes tuées
11.Gakuku
: 29 avril , 10 tués
12.Gihuha
:5 mai , 12 tués
13. Gateja,
16 mai, 2 tués
14.Gihuha :1O
.
La liste
est loin d’être exhaustive car c’est presque tous les jours qu’il y
ades motrs , victimes des massacres sélectifs .Des massacres continuent
jusqu’aujourd’hui.
Du
statut des Banyamulenge et des chances de coexistence pacifique.
D’aucuns
avaient espéré qu’après la guerre de l’AFDL et la prise du pouvoir par
Kabila aurait résolu de façon définitive, cette fois l’épineuse question
de la nationalité des populations rwandophones de l’Est du Congo. Force
est de constater aujourd’hui que non seulement cette question est resté
sans solution mais aussi que l’on risque de revenir à la case de départ,
compromettant de ce fait les chances d’une coexistence normale entre
Congolais de souche tutsie et leurs compatriotes dans leur ensemble.
A entendre s’exprimer les uns et les autres , les opinions diamétralement
opposées font craindre une nouvelle escalade même après cette guerre
si une solution juste , équitable ,responsable et surtout définitive
n’est pas apportée à cet épineux dossier. Résumons en substance les
arguments des uns et des autres.
a.
Ceux qui ne reconnaissent pas aux Banyamulenge le droit à la nationalité
du Congo
Ils sont
de loin les plus nombreux . Leurs arguments sont les suivants :
1.Ils prétendent
que les Banyamulenge sont des étrangers qui seraient arrivés sur le
territoire national tard, bien après la Conférence de Berlin. Laissons
parler Kimenya Musasa Richard : « les Banyamulenge sont des Tutsis d’origine
rwandaise qui sont établis chez nous il y a seulement quelques dizaines
d’années. Ils sont étrangers, et s’ils veulent devenir Congolais ,ils
n’ont qu’à en faire une demande individuelle, je dis bien individuelle
Ils sont venus récemment, ils sont minoritaires et constituent un groupe
de pression. »(22)
2. Ils accusent
les incriminés de jouir d’une double nationalité et de se sentir plus
proches du Rwanda que du Congo alors que la nationalité congolaise est
une et non concurrente. C’est ce que Jean-Pierre Mbeho dit en partie
: « aujourd’hui le munyamulenge est plus situé, plus branché au Rwanda
qu’au Congo. Le gouvernement congolais devrait s’imposer car la patrie
c’est la terre pour laquelle on se bat et non la terre que l’on fuit
» (23).
3.Ils reprochent
aux Banyamulenge de ne pas se comporter en citoyens Congolais car ils
vivent marginalisés , ne se marient pas avec les autres tribus congolaises,
parlent encore leur langue d’origine (kinyarwanda), prient dans leurs
églises à eux… Ecoutons à ce sujet le Bureau de la Société Civile «
la question de la nationalité est constituante . Si ce projet est accepté
par les Congolais, d’accord. Seulement à quoi servirait une nationalité
sur papier .Les Banyamulenge se marginalisent eux-mêmes. Or, il faut
aspirer à construire une nation commune ; Si la question est résolue
par les textes, nous dirons tant mieux…Mais le plus grand travail restera
à faire : la cohabitation. Ce que nous demandons aux Banyamulenge, c’est
qu’ils s’intègrent . »(24).
4.Enfin –
last but non least – les Banyamulenge , en menant deux guerres contre
le Congo , auraient prouvé par là qu’ils ne peuvent être considérés
comme Congolais Cet étudiant n’y va pas par quatre chemins : « Nous
ne les accepterons jamais car on ne peut pas être Congolais et porter
les armes contre so propre pays et ses compatriotes » (25).
B .Ceux
qui leur reconnaissent cette nationalité
1.Pour les
tenants de cette thèse, les Banyamulenge se trouvent bel et bien sur
le territoire national bien avant la colonisation en s’appuyant aussi
bien sur la tradition orale que sur une littérature de plus en plus
nombreuse .Kalehezo Maxime le dit sans ambages : « Les Banyamulenge
sont des Congolais d’origine avec qui nous avons toujours vécu. Comment
peuvent-ils du jour au lendemain devenir des étrangers ? »(26 )
2.A propos
de leur tendance à jouir d’une double nationalité(rwandaise et congolaise
à la fois), ils trouvent que le fait de se trouver actuellement au Rwanda
pour certains Banyamulenge depuis 1994 se justifie par le fait du harcèlement
continuel de la part des autorités zairoises , mais aussi devant le
dépérissement de l’Etat zairois , ils sont au Rwanda comme des réfugiés
économiques tout comme il y a beaucoup d’autres congolais qui se trouvent
au Rwanda, au Burundi , en Tanzanie , en Zambie , en Angola, en Uganda…
à la quête d’un mieux-être tout simplement C’est l’avis de Kayira Tharcisse
: « Le problème se trouve ailleurs. Des Banyamulenge peuvent se trouver
même en Australie, est-ce pour cela que leur droit à être reconnus chez
eux leur seront refusés ? Ces mêmes qui nous accusent d’être aujourd’hui
au Rwanda sont les mêmes qui nous lapidaient et massacraient en 1996.
Ils ont une mémoire courte. »(27)
3.Quant au
troisième argument, ils répondent qu’un comportement congolais est une
création de l’esprit, car un pêcheur mubembe , eu cultivateur munande,
un chasseur tshokwe ne se comportent pas forcément de la même manière
et le fait de préserver une culture pastorale différente ne constitue
pas un délit punissable par le retrait de la nationalité Curieusement
, Alimasi Ndomba Pauni, un mubembe le dit lui-même : « il s’agit là
d’un prétexte. Chacun a droit à une identité culturelle. La question
de la nationalité est une question qui relève du droit et non de la
culture car on peut trouver des citoyens d’un même pays mais avec des
identités culturelles différentes. Malheureusement on est en train de
fausser la route en recourant aux armes »(28)
4.Au fait
d’avoir pris les armes contre leur propre pays , les Banyamulenge rétorquent
qu’il est un droit de prendre les armes pour combattre un pouvoir dictatorial
par surcroît inique Bizimana pense que : « les Banyamulenge n’avaient
plus d’autre choix car ils avaient fait présenté leurs doléances à plusieurs
reprises sans succès. Ils en étaient arrivés au point d’être massacrés
avant d’être expulsés par ceux-là mêmes qui auraient dû les protéger
.S4ils n’avaient pas pris les armes pour se défendre où serions- nous
aujourd’hui. Cela n’est pas un problème lié à la nationalité mais plutôt
à la survie du groupe »(29)
Pour maître
Mbayu, il s’agit bel et bien du problème de représentativité qui est
en jeu ici. « Faut-il projeter l’ethnie ou faire participer toutes les
forces vives de la nation .Il faut rejeter à jamais l’ethno-représentativité
»( 30). Tout se passe chez nous donc comme si un leader politique représentait
d’abord son ethnie avant de représenter l’Etat qu’il est censé servir.
Un rwandophone
du Nord- Kivu , pour sa part, nous avait dit ceci : « avec l’avènement
du FPR . le problème se pose autrement. Il est exclu qu’une question
aussi fondamentale que celle de la nationalité soit laissée au soin
des privés . Les Banyarwanda appartenaient à l’ancien Rwanda, détaché
du Rwanda pour être attaché au Congo .C’est aux Etats (Rwanda, Burundi)
de discuter de cette question et non aux individus. L’indépendance avait
été accordée aux représentants de la colonie et non aux anciennes ethnies
du Congo. Cette question est constituante. En vertu de quoi dois-je
poser la question de ma nationalité à un muhunde , à un mubembe ou à
un mukongo ? S’ils ne veulent pas de nous, déchirons le pays. »(31).
C.
CONCLUSION
Il nous faut à présent conclure
notre travail en nous arrêtant sur quelques points saillants qui méritent
une attention particulière de la part de tous les acteurs et de tous
ceux qui sont intéressés dans la résolution du conflit qui ensanglante
notre pays et qui risque, comme nous l’avons dit, de faire exploser
toute la région des Pays des Grands Lacs. Tel est notre vœu , en tout
cas.
1.La question dela nationalité
et du statut des populations rwandophones, en l’occurrence les Banyamulenge,
constitue une bombe à retardement.Cette épineuse et délicate question
, ajoutée au problème de sécurité pour cette minorité est la principale
revendication des Banyamulenge. Avec l’avènement de Kabila au pouvoir,
d’aucuns avaient espéré voir cette question être réglée définitivement.Il
n’en a été rien. Loin s’en faut. Aujourd’hui, avec le fossé qui semble
séparer davantage les Banyamulenge d’autres groupes du Sud Kivu, l’équation
se complique davantage. Nous souhaitons que des recherches approfondies
soient menées sur cette question et qu’au moins un séminaire soit tenu
,rassemblant les divers protagonistes de la région sur la problématique
de la nationalité des Banyamulenge .De la sorte , on aura balisé le
chemin à l’administration d’après la guerre et à l’opinion internationale
pour que cette question soit traitée de façon responsable et définitive.
Nous comptons réserver un rapport spécial sur cette problématique dans
les prochains jours.
2. Beaucoup de gens sont
aujourd’hui d’avis que la « société civile » peut beaucoup aider à résorber
l’actuelle crise entre les deux blocs en présence. Nous sommes également
de cet avis. Nous souhaitons que cette société civile exploite au maximum
et pour le bien de tout le monde le capital de crédit que lui accordent
les populations du Sud Kivu. Précisément, elle devrait , par ses discours
et ses écrits veiller à ne pas attiser davantage le feu, mais plutôt
à travailler à l’apaisement en vue d’un retour progressif de la paix
au Sud Kivu. Ici, une attention particulière doit être mise sur l’objectivité
et l’impartialité dans la présentation de la situation qui prévaut chez
nous . Il faut à tout prix dénoncer toute sorte de désinformation et
couvrir alerter l’opinion de la communauté internationale aussi bien
sur les massacres commis par les Banyamulenge que ceux commis par d’autres
groupes contre les Banyamulenge.
3.Les Banyamulenge, en tant
qu’ils constituent un groupe à part dans le rapport des forces au Sud
Kivu, ils devraient éviter tout comportement qui peut prêter à équivoque
et qui aurait pour effet de conforter les autres groupes ethniques dans
la haine et l’exclusion contre leur propre groupe. Plus particulièrement,
ceux des Banyamulenge qui occupent encore illégalement les maisons et
biens d’autrui sont invités à les céder à leurs propriétaires ou à leurs
représentants. Quant à leur nationalité, même si pour nous cela constitue
un droit inaliénable et donc non négociable, ils doivent néanmoins savoir
que des efforts de leur part sont exigés pour une plus grande intégration
sociale Il existe une différence notable entre une nationalité juridique
et une nationalité sociale. Ici cependant, il faut demander à d’autres
groupes ethniques du Sud Kivu de fournir les mêmes efforts dans l’acceptation
des Banyamulenge comme compatriotes , contrairement à l’actuelle tendance
qui les diabolise.
4. Un accent particulier
doit être mis sur la formation des soldats du RCD surtout sur le droit
humanitaire international , les crimes de guerre et le code pénal. Nous
préconisons cette activité car force est de constater que ces soldats
sont souvent délaissés et sans encadrement de la part des autorités
politiques et militaires. La plupart de ces militaires ont été formés
à la hâte, juste pour la guerre et se retrouvent emprisonnés dans des
logiques ethnistes en place. HK développera davantage ce pôint dans
son prochain rapport sur le mur de la méfiance au Sud Kivu.
5 Le RCD devrait davantage
mettre l’accent sur un programme social et économique minimal pour soulager
ces populations qui vivent chaque jour davantage dans une misère noire.
Toutes les infrastructures de production ont été détruites ; tout fonctionne
au ralenti et l’on assiste plutôt à un désintérêt certain et manifeste
des autorités politiques et administratives par rapport à cette misère
par trop criante dans laquelle vivent les habitants du Sud Kivu.
6.Selon beaucoup de gens
que nous avons rencontrés, la communauté internationale semble avoir
abandonné à leur triste sort les populations du Sud Kivu. Pire, elle
assiste en spectateur choqué à la dégradation de la situation au jour
le jour . Ce qui fait même dire à certains , non sans amertume, que
la communauté internationale serait complice de ce qui se passe chez
nous. Il faut cependant reconnaître que c’est grâce à l’intervention
de cette même communauté internationale que les choses marchent encore
dans certaines contrées du Sud Kivu ; notamment à travers certaines agences
onusiennes et certains organismes internationaux. Ce que nous souhaitons
c’est que cette communauté internationale s’implique davantage chez
nous à travers un programme humanitaire d’urgence.
7 Les pays voisins ont certes
des raisons sérieuses de se préoccuper de la sécurité à leurs frontières(surtout
que le Kivu a été un sanctuaire pour les forces génocidaires) .Cependant,
ils ne doivent, sous aucun prétexte et à aucun moment , perdre de vue
que les Congolais ont un droit légitime de disposer d’eux=mêmes et de
jouir de leur souveraineté nationale. Les Congolais ne devraient pas
faire la guerre des autres. Ces forces étrangères feraient donc mieux
si elles se retiraient du territoire national pour ensuite négocier
avec leurs voisins les conditions de sécurité commune. Aujourd’hui il
y a plus d’insécurité au Congo que dans les pays voisins de l’Est.
8.Last, but non least. Depuis
la guerre de 96, il s’est perpétré beaucoup de massacres des populations
civiles innocentes(toutes ethnies confondues). Depuis les massacres
commis contre des milliers de civils Banyamulenge jusqu’aux massacrés
imputables à des soldats du RCD(que beaucoup de gens appellent à tort
des Banyamulenge), en passant par les massacres de Kabila, aucune enquête
ni nationale ni internationale n’a dégagé les responsabilités des coupables
pour qu’ils répondent de leurs actes. Ceci constitue, à coup sûr , un
mauvais précédent et renforce la culture de l’impunité dont nous avons
tant souffert. Or, la paix ne pourra jamais revenir chez nous s’il n’y
a pas de justice pour tout lemonde.
HAKI KWETU, c’est justement
“la paix par la justice”
LISTE
DES TEMOINS
1.Mgr
KANYAMACHUMBI, diocèse de Goma, interrogé en août 99
2.SEMUSWA Patient, Barza
intercommunautaire, Nord-Kivu,interrogé en août 99
3.MUHAMIRIZA Jean-Scohier,
Gouvernorat de Bukavu, interrogé en septembre 99.
4.Prof.MUGANGU Séverin,Doyen
de la faculté de Droit à l’Université Ctholique de Bukavu,interrogé
en avril 2000
5. IDEM
6.KALEHEZO Maxime, Président
de la mutualité des Batembo du Sud-Kivu, interrogé en septembre 2000
7.BAPOLISI Fraterne et MIMI ,
JUSTICE ET PAIX , diocèse de Goma, interrogés en décembre 99
8.Etudiants de l’UCB( anonymat)
9.TSHILUMBA Frédéric, institut
TARAJA de Goma, interrogé en août 99
10.ANONYMAT
11. ANONYMAT
12.Bureau de la Société Civile,
Bukavu , septembre 99
13.IDEM
14. IDEM
15.MUKAHIGIRO Rose, Protocole
Gouvernorat Goma, décembre 99
16.Prof MUGANGU,sept 2000
17.RUBERANGABO Enoch, CPDD,
Bukavu, sept ,2000
18. ANONYMAT
19.MUGANGU Séverin,Bukavu,
sept ,2000
20. IDEM
21.IDEM
22.KIMENYA MUSASA Richard,
étudiant CUB , Bukavu, sepembre 99
23.MBEHO Jean-Perre, Coordination
des Ecoles conventionnées catholiques , Uvira avril2000
24.Bureau de la Société civile,
Bukavu, sept ,99
25. ANONYMAT
26.KALEHEZO MAXIME , Bukavu,
sept2000
27.KAYIRA Tharcisse, ADEPAE,
Bukavu, avril2000
28.ALIMASI NDOMBA PAUNI,
Bukavu,sept2000
29 PSEUDONYME
30.Me MBAYU , Président de
JUSTICE ET PAIX , Goma, décembre 99
31. ANONYMAT.
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